CHAPITRE 5.1 - George et Liam - La Métropole

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Liam fit couler l'eau de la douche, de plus en plus chaude. Il avait installé cette douche à l'ancienne quand il s'était installé ici pour profiter de ce côté désuet de se laver à l'eau plutôt qu'à ultrasons. Ça l'amusait. Il attendit que la vapeur emplisse la salle de bain avant de se glisser sous le jet d'eau, gémissant de douleur. Pourquoi il s'infligeait cela tous les matins en revanche, il n'en avait aucune idée, mais c'était devenu une habitude à laquelle il ne pouvait plus déroger. Il sortit quelques minutes plus tard de la douche rouge comme une écrevisse mais parfaitement réveillé. En repassant dans la chambre, il s'arrêta face à sa fenêtre et contempla la vue. La Métropole s'étendait sur des kilomètres à la ronde, partout des gratte-ciels s'élevaient de terre, la plupart encore seulement à moitié construits. L'expansion s'était terriblement accrue depuis quelques années. Pourtant la ville, aux yeux d'un voyageur tel que Liam, paraissait fade et blafarde, avec ses bâtiments blancs bien symétriques, à l'ergonomie parfaitement optimisée. Tout se ressemblait. La modernité avait aseptisé l'environnement, rendant les agglomérats terriens tragiquement mornes.

Un peu nostalgique, Liam repensa à la toute première fois où George et lui avaient parlé de venir sur Illyr, quatre ou cinq ans plus tôt. C'était lors d'une soirée célébrant la fin de leur service, il devait être dans les alentours de quatre heures du matin et la plupart de leurs camarades s'étaient écroulés autour d'eux, fins saouls pour la plupart, prodiguant à la pièce un fond sonore composé de ronflements et de rires étouffés. George, qui ne buvait jamais beaucoup, était en pleine possession de ses facultés mentales, ce qui n'était pas le cas de Liam. D'ailleurs, lui n'avait que peu de souvenirs de cette soirée, et ceux qui lui restaient n'étaient peut-être que des reconstructions a posteriori, sur la base de ce que George lui avait raconté. Profitant du calme relatif de la fin de soirée, George avait ôté des bras de son ami une jeune fille ivre morte qui bavait sur sa chemise et s'était installé à côté de lui sur le sofa.

— Liam ?

— Hein ?

— Tu es mon meilleur ami, tu sais.

Liam avait poussé un mugissement en guise de réponse en prenant son ami dans ses bras avec un sourire extatique.

— Ouaiiiis ! Toi aussi mon pote, mon meilleur pote ! 

George lui avait alors rendu son étreinte, geste d'affection qui ne lui était pas commun.

— Je voulais te parler de quelque chose. Ça fait un bout de temps que j'y pense.

— Ouais ?

— Tu sais, quand on parlait de notre avenir, de ce qu'on voudrait faire une fois qu'on serait diplômés...

Il avait pris une pause, triturant sa bouteille de bière à peine entamée, probablement la même qu'en début de soirée.

— Liam. Je veux aller sur XGD-241091.

Malgré les brumes alcoolisées qui lui brouillaient le cerveau, Liam avait sursauté.

— Quoi ?

— Je veux aller sur XGD-241091, avait répété Georges avec plus de fermeté cette fois. Et je voudrais... Enfin j'espérais que tu viennes avec moi.

George s'était alors tassé sur lui-même dans le vieux fauteuil déglingué du salon de la maison de vacances d'Anton Maloy, les yeux fixés sur cette stupide bouteille de bière qu'il ne finirait jamais, ses épaules voutées dans l'attente de la réponse de son ami.

— Ok ! Ouais, carrément.

Ok. Ouais, carrément. C'était ce qu'il avait répondu quand son ami lui avait demandé de prendre ce qui serait sans doute la plus grande décision de toute sa vie. Il était quatre heures du matin, il était saoul et il venait d'accepter de partir vivre sur une autre planète sans y réfléchir plus de cinq secondes. XGD-241091... Une toute petite planète, à la surface habitable d'à peine la superficie de la Russie, de moins d'un milliard d'habitants... Une planète riche et florissante, une planète aux saisons extrêmes, aux paysages fantastiques, aux animaux exotiques, aux plantes de tailles démesurée... Une planète aux journées de près de trente heures, aux années de dix mois (même si tout avait été remis aux standards terriens, pour plus de facilité.) Illyr, de son nom autochtone. Illyr et ses habitants si anthropomorphes, dont on savait encore si peu, presque cent ans après leur découverte. Un peuple doux, rêveur, étrange, aux chevelures bigarrées et aux yeux de chats... Illyr... Un rêve. Ils avaient parlé pendant des heures, évoquant toutes les myriades de possibilités qui s'ouvraient à eux, jusqu'à ce que les parents d'Anton ne rentrent chez eux et n'hurlent leurs grands dieux devant l'état de leur maison. Anton Maloy ne réorganisa plus jamais de soirée chez lui, mais peu importait. Cette soirée-là avait changé leurs vies comme aucune autre avant, et probablement aucune autre après ne pourra jamais le faire. Bien-sûr Liam était alors soûl quand il avait accepté, mais George... Ce George d'ordinaire si parfait, si sage, si ennuyeux somme toute, c'était lui qui sobre, avait proposé cette idée. Liam n'en revenait toujours pas, autant d'années après.

Le jeune homme s'habilla prestement et sortit de chez lui. Il était encore relativement tôt, le soleil était bas dans le ciel et la température fraîche était propice à une petite balade. Il n'aimait pas rentrer à la métropole, retrouver la vie quotidienne, le train-train monotone d'une vie bien rangée. Cela le rendait étrangement morose. Il repensa à George, sa femme, leur bébé en route... Il était heureux pour eux bien-sûr, mais aussi un peu... frustré. Un peu jaloux, aussi, peut-être. George allait avoir un enfant. Il fondait une famille. Déjà son mariage avait été un coup rude, malgré toute la bonne humeur qu'il s'était efforcé de montrer ce jour-là. Il était heureux pour lui, bien-sûr, mais déjà à ce moment-là, il avait eu l'impression de perdre son ami. Cela n'avait pas été le cas heureusement, ils avaient continué à se voir, mais avec un enfant, serait-ce encore possible ? Il aurait d'autres priorités, et personne ne pourrait le lui reprocher. 

L'âme en peine, Liam marchait les yeux fixés sur ses chaussures quand une fine bruine se mit à tomber. Redressant son col, il courut vers le magasin le plus proche pour s'abriter. Au moment où il passait la porte, un bruit sourd retentit et le sol trembla sous ses pieds. Liam laissa retomber son manteau qu'il avait relevé sur sa tête pour se protéger de la pluie et se retourna. Derrière lui, de l'autre côté de la rue, de la fumée sortait de la gare. Quelques minutes plus tard, un flot de gens en panique déboulait dans la rue, certains couverts de sang. 

Le train Côte-Sud-Métropole venait de dérailler.

Les Bannis - Tome 1; Les premières pierresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant