Bleeding out (Relation prof/élève)

Chapitre 47

Vendredi 13 novembre 2015, 20h34

PDV Ethan

Ce soir-là, on avait décidé d'aller le voir le match tous ensemble dans un petit bar de la ville. Eh non, pas au QG cette fois ! Je suis trop imprévisible, cherchez pas. Oui, bon, ok, de base, on partait vers le QG, mais la télé étant hors service, on a fait demi-tour. En tant que fidèle supporter, hors de question pour nous de rater le match, France-Allemagne c'est pas rien ! En disant « nous », je parle bien sûr de notre team habituelle, Sam, Math, Léa, et même Raph, étaient de la partie.

Je me souviens exactement de ce que l'on faisait ce soir-là, et même de quoi on parlait, ainsi que les expressions des visages de mes amis. Sam et Raph partageaient leurs anecdotes sur leurs élèves respectifs. Je ne les écoutais pas vraiment et Léa non plus. Nous étions bien trop occupés à nous moquer de Math, qui semblait obnubilé par Sam qui parlait, comme s'il écoutait des paroles divines.

Puis il a remarqué qu'il était la cible de nos ricanements. Ricanements. Oui, c'est le mot parfait. Des petits rires dignes des belles-sœurs de Cendrillon. Et bien évidemment, nos taquineries habituelles ont recommencé et je dois bien avouer que j'étais en train de perdre la guerre des clashs, Mathieu était on fire.

Quand on a appris, via le son médiocre de la télé sur le mur d'en face, ce qui était en train de se passer à Paris, tout le monde s'est tu d'un coup. Je vous jure, on n'entendait plus le son des verres qu'on reposait sur la table, plus le son de la cafetière, même les mouches étaient choquées. Personne ne parlait, on osait à peine respirer.

Il n'y avait que la voix de la journaliste. Je ne saurais même pas vous dire combien de temps ce silence a duré. Je ne savais même pas ce que je ressentais. Comme tout le monde, je suppose. De la tristesse ? La colère ? L'incompréhension ? Un mélange de tout je crois. Associées à une part de peur et de culpabilité aussi. La culpabilité du survivant en quelques sortes. Le bilan s'assombrissait de minutes en minutes. Ces gens étaient morts en allant voir un match de foot, en prenant un verre en terrasse, un concert entre amis... Et c'est précisément ce que nous faisions aussi ce soir-là, on partageait un moment entre amis devant une bière et un match. Nous étions si loin d'eux mais à la fois si proches. Ça aurait pu être nous, des membres de nos familles, nos amis, exécutés comme ça, sans raison.

J'avais des frissons. A la fois devant l'horreur de la situation, mais aussi devant la solidarité des survivants. Que cela soit les gens qui ont aidé via les réseaux sociaux, le personnel médical et paramédical et même nous, dans ce petit bar de Bordeaux. Nous, parce qu'on faisait bloc devant tout ça, parce que Léa était dans mes bras, et un inconnu avait son bras sur mon épaule. Parce que même si on ne connaissait pas forcément les victimes, on était profondément affecté par la situation et un simple geste d'empathie fait du bien.

PDV Elena

Mon père était parti en Bretagne pour je ne sais quel client, et j'étais seule à la maison ce soir-là. Une part de moi déteste la solitude, mais une autre l'adore. Je sais que cela peut paraître bizarre mais c'est important de prendre un peu de temps pour soi parfois. Alors, j'ai pris une douche, mis mon pyjama le plus confortable, et ai allumé Netflix. Un petit plateau télé, rien de mieux ! Tout en regardant l'écran de mon ordinateur, je terminais mes devoirs d'anglais. J'avais plus ou moins perdu la notion du temps, mais à minuit, l'alarme de mon téléphone s'est déclenchée. Ah oui ! L'anniversaire de Manon !

Je ne me souvenais même plus que j'avais programmé une alarme pour son anniversaire, j'avais probablement dû faire ça quelques mois auparavant. Manon est une fille que j'avais rencontrée il y a quelques années déjà, c'était l'amie d'une amie et on avait sympathisé lors d'une soirée, alors qu'on s'occupait toutes les deux d'une autre fille qui avait un peu trop bu. On avait discuté pendant plusieurs heures, en parlant de sujets très sérieux, tout en tenant le seau pour que cette fille vide son estomac.