Chapitre 26

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Morgane s'assit sur son lit, ou plutôt sur le lit de sa nouvelle prison, et ferma les yeux. Elle essaya de ressentir les mêmes émotions qu'un peu plus tôt, alors qu'elle voulait tant se trouver à la place de Jasper. Cette fois-ci, elle s'imagina en compagnie de ses amies, Flore et Karine, également danseuses. Elles suivaient des cours de danse pendant l'été dans un petit studio en ville et dont les professeurs étaient d'anciens danseurs de Broadway. Leurs cours coûtaient très chers, mais les amies de Morgane avaient des parents autant fortunés qu'elle qui n'avaient pas hésité à leur payer les leçons de leur rêve. La jeune femme en avait été très jalouse lors de sa visite avant de partir au Camp du Lac. Elle savait ainsi où elles se trouvaient en ce moment ; c'est-à-dire en train de travailler dans le studio.

Morgane visualisa l'endroit de ses souvenirs, et oublia qu'elle se trouvait à plusieurs centaines de kilomètres de Manhattan. Elle se souvint de la texture du plancher de bois verni sous ses pieds, de la température plutôt chaude de la salle, des bruits de ventilateur et surtout, de la musique classique qui y jouait.

Elle resta ainsi dans la même position et en relaxant totalement pendant un long moment, mais elle ne sentait en symbiose avec ses émotions et parfaitement calme, alors elle ignora le temps qui passait et tous ses malheurs des derniers temps.

Des voix la firent soudain sursauter et, lorsque Morgane ouvrit les yeux, son lit avait disparu. Elle se trouvait désormais au beau milieu d'une classe de danse face à des miroirs. Les lumières étaient fermées ; seul un néon au plafond était encore allumé.

L'adolescente se tourna vers le fond de la salle où deux jeunes femmes discutaient ensemble sans se soucier de sa présence. Elle réalisa alors que son don l'avait à nouveau transportée là où elle avait le plus envie d'être.

Ses amies n'avaient pas du tout changé. Elles portaient un chignon et enfilaient des pantalons par-dessus leur collant.

- C'est tellement navrant ce qui lui est arrivé, disait Flore. Lorsque j'ai appris la nouvelle, je suis restée pendant des heures enfermée dans ma chambre. Son père est un vrai tortionnaire de l'avoir envoyé là-bas. Elle ne savait même pas nager !

Morgane en déduisit que ses amies parlaient d'elle.

- Entre toi et moi, elle ne savait pas faire grand-chose à part danser, mais bon...rétorqua Karine.

- Arrête d'être aussi désobligeante. Je te parle de notre amie.

- Je suis désolée de ce qui lui est arrivée, mais Morgane était...bizarre. Je veux dire que personne n'arrivait à la cerner, elle vivait dans son monde à elle, ne pensait qu'à elle et ne se rendait pas compte que personne ne l'aimait.

- Karine !

- Quoi ? Je dis seulement ce que tout le monde pense. Elle se croyait meilleure que tout le monde. Oui elle était douée à la danse, mais son caractère prétentieux m'horripilait et pas que moi. Demande à Jacinthe et à Sybille. Elles sont du même avis que moi

Flore croisa ses bras.

- Ça ne sert à rien de songer à ses défauts, dit-elle. C'était une bonne personne...

- Qui ne pensait qu'à elle, la coupa Karine.

- Peut-être mais...

- Arrête de la défendre. Elle est morte, alors elle ne t'entendra pas.

- Tu as raison, finit par dire Flore. Elle va tout de même me manquer.

- Pas à moi ni à personne d'autre.

Morgane en avait assez entendu. Elle s'efforça de revenir au moment présent et ouvrit les yeux. Elle regretta immédiatement d'avoir fait ce voyage astral. Elle qui croyait que ses amies étaient de vraies amies, elle s'était réellement fourvoyée ! Flore semblait l'apprécier, mais comme l'avait fait remarqué Karine, elle était bien la seule.

La jeune femme se prit la tête entre les mains. Elle se sentait encore plus malheureuse qu'avant. Sa mère s'était suicidée à cause d'elle, ses amies ne l'appréciaient pas, son père ne se souciait pas d'elle, sa belle-mère la détestait et même Erin et Crystal la haïssaient. Quant à Jasper, Morgane s'interdisait de ressentir quoi que ce soit pour lui ; pas après sa trahison.

Avec un long soupir de découragement, Morgane se leva et se changea. Sa garde-robe était étonnamment à sa taille, bien que le style différait de ce à quoi elle était habituée. Elle enfila un pantalon en toile avec un chandail bleu, puis arpenta le long couloir menant au salon.

Elle entendit alors une voix masculine qu'elle ne reconnut pas et s'approcha, mais demeura derrière une plante afin qu'on ne l'aperçoive pas.

- Qu'est-ce qui t'a retardé à ce point, Guimond ? demanda Viviana.

Ils se trouvaient seuls, en tête-à-tête. L'homme en question était presqu'identique à Jasper, en plus vieux. Il avait les mêmes traits que lui, la même couleur de cheveux, les mêmes yeux, bref, Morgane sut qu'il était son père. Ce dernier poussa un long soupir.

- Les Volmaîtres sont de plus en plus puissants, déclara-t-il. Ils se sont manifestés il y a deux jours à Boston et y ont semé la pagaille.

- Y a-t-il eu des morts ?

- Non, mais plusieurs enchanteurs ont été blessés en tentant de se défendre. Les Volmaîtres étaient nombreux et possèdent des pouvoirs plutôt terrifiants.

- Je sais, répondit Viviana. J'en ai entendu plusieurs en parler en Égypte. Nous devons les arrêter, Guimond.

- C'est ce que le sénat tente de faire, mais ils ont un avantage sur nous.

- Lequel ?

- Abraham est désormais à leur tête et ne recule devant rien.

Viviana eut l'air horrifié et Morgane se demanda pourquoi.

- C'est une catastrophe, fit la dame. C'était l'un des meilleurs enchanteurs des États-Unis.

- Je sais. Les Volmaîtres lui ont promis encore plus de pouvoir et il s'est laissé convaincre. Nous devons être plus alertes maintenant qu'il n'est plus de notre côté.

Sa femme hocha la tête.

- Jasper a-t-il accompli sa tâche ? demanda Guimond.

- Avec brio, quoiqu'il n'a pas été très délicat.

- Peu importe, l'important c'est qu'elle se trouve avec nous.

- Es-tu certain de ce que tu avances, Guimond ? Tu te trompe peut-être de fille. Ses pouvoirs ne se sont pas encore manifestés. J'ai du mal à imaginer qu'elle soit aussi puissante que tu ne le croies.

- Elle l'est, ou plutôt, elle le sera. Après tout, elle est la petite-fille d'Abraham. C'est pour cette raison qu'il ne doit pas la trouver. Ce serait un véritable danger pour elle.

- Je comprends. Jasper est sensé la surveiller.

Morgane eut soudain le pressentiment qu'ils parlaient d'elle.

- Alors, pourquoi n'est-il pas là ? demanda Guimond. Si elle s'enfuyait, ce serait la un désastre.

- Il est au camp, répondit Viviana.

- Il n'a plus besoin d'y aller puisqu'elle est désormais ici.

- Je sais, mais il doit s'y rendre afin de dissimuler les soupçons.

- Il n'a qu'à jeter un sort sur les jeunes comme il l'a fait sur le père de la jeune fille afin de le convaincre de l'envoyer au camp de pêche.

- Je tenterai de lui en parler.

- Bien. Et Viviana ? Morgane ne doit pas savoir que son grand-père est le Volmaître le plus craint des États-Unis et qu'il la recherche. Je ne veux pas effrayer cette pauvre petite. Elle doit être assez perturbée comme cela...

Perturbée ? Morgane était désormais plus que perturbée. Avec tout ce qu'elle avait découvert depuis le début de la journée, elle avait seulement envie de s'arracher les cheveux de la tête.

La pêche aux sortilègesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant