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Petit, aucun repère à l'école, aucune compréhension véritable du sens de ce que j'entreprenais dans mon travail scolaire et dans mes relations souvent presque inexistantes aux autres, je faisais tout mécaniquement, et je le fais toujours, cela m'épuise, me fait encore aujourd'hui pleurer de peur, de rage et de désespoir, mon travail me semble constamment bâclé, je n'arrive guère à prendre le temps de détailler mes réflexions, à peine arrivées elles sont déjà reparties. Mes développements sont plus courts que mes conclusions, car la réponse est là, pourquoi s'attarder sur le problème ? Et voilà, semble-t-il, un autre paradoxe, j'arrive tout de suite à la conclusion mais j'ai l'impression de ne jamais avancer dans quoi que ce soit. De plus, aucune de mes réflexions ou de mes analyses ne trouve grâce à mes yeux.

Quelle-est donc cette barrière, ce mur de verre qui semble me séparer en permanence des autres ? Pourquoi suis-je incapable de trouver ma place là où je suis ? Pourquoi ne suis-je jamais pleinement satisfait de l'endroit où je me trouve ? Me voilà agité, je ne tiens pas en place, je dois sortir, mais à peine sorti, je souhaite déjà rentrer, il semble n'y avoir aucun endroit qui puisse me soulager. Il faut juste essayer de ne pas y penser et d'enfouir ces sentiments, en parler me ferait passer pour un fou ou que sais-je. Ou alors, peut-être serait-il bon de l'écrire ?

Entreprendre un travail, de quelque nature qu'il soit, est un chemin de croix, le mental s'active, s'affole, surinterprète et remet tout en cause à tout moment, il est presque surhumain d'avancer et de ne pas rester toujours au même endroit avec mes doutes et cette arborescence à chaque mot ou à chaque idée. Puis, comme une sorte de barrière de fortune que je me suis construite pour, peut-être, ne pas partir trop loin devant les autres, une voix vient rabaisser et mésestimer tout ce que je dis, ce que je pense, ce que je fais ou ce que je ne fais pas. Comme si quelqu'un était derrière moi, me suivant, regardant derrière mon épaule quand j'écris, je le vois grimacer, il ne comprend strictement rien à ce qu'il lit, il trouve cela tellement inutile et surfait, «ça ne casse pas des briques» dit-il d'un air perplexe, «ça ne sert à rien, ça part dans tous les sens, c'est trop négatif, qui cela pourrait bien intéresser ?» renchérit cette même voix... Et me voilà déjà bloqué tout en oubliant que cette petite voix ne vient pas de l'extérieur mais bien de moi-même. Je suis mon propre critique, mon propre juge et rien n'est jamais assez bien, rien n'est satisfaisant, peu de choses l'impressionnent, le moindre mot est surveillé de près et remis en question. J'en arrive à la conclusion suivante : je suis totalement nul.

Stop, je ne peux plus me permettre de penser comme ça, c'est peut-être que j'ai trop pensé, je vais donc remettre tout cela à plus tard, puis à demain, puis au jour d'après, puis à plus jamais. Sans m'en rendre compte, je viens de procrastiner.

Hélas, je ne peux fuir indéfiniment, surtout dans les études. Et pourtant, je sens que cela me reviendra un jour en pleine figure comme un boomerang. À chaque rentrée : «je serai exemplaire, me dis-je, je classerai chaque document, je ferai le travail à faire en temps et en heure. Si je maintiens ce rythme, tout sera plus simple», mais c'est sans compter sur ces petits grains de sables et cette procrastination de la peur et du dégoût de soi, peur de voir le travail en face, allégoriquement peur de voir l'incertitude de mon futur en face. Et là me viennent les paroles de ma mère, discutant avec ses amies au téléphone : «c'est sa troisième première année, il ne fait que de se réorienter, ça ne peut plus durer», «ses études commencent à nous coûter beaucoup d'argent» puis de ce qu'elle m'a dit un jour et qui ne cesse de me hanter : «c'est ta dernière chance, si tu ne réussis pas cette année, nous ne te payerons plus d'études, tu te débrouilleras, tu travailleras». Ce sont toujours les mêmes flots incessants de pensées dévalorisantes et injonctives qui m'assaillent, que cela vienne de moi-même ou des autres. D'ailleurs, cette phrase aux consonances d'ultimatum résonne encore dans ma tête après tout ce temps et s'attaque à moi comme un produit corrosif, gagnant en puissance chaque jour, m'envahissant et me bouleversant à tel point que je me retrouve incapable de penser durablement à autre chose, car l'angoisse est là, elle s'installe, me harcèle, vient dans mon sommeil. Je me sens pris au piège, je n'arrive pas à lutter, il m'est impossible de réformer ce fonctionnement, et pourtant j'y mets toutes mes forces, mais rien n'y fait. Je me sens toujours aussi cerné par la culpabilité et la peur de l'avenir. L'incertitude me bouleverse et me perturbe à tel point qu'elle assombrit tout mon quotidien et tout ce que j'entreprends. En parler aux autres ne m'apporte rien, car les réponses que j'entends sont comme des non-réponses, des incompréhensions, des «pourquoi te pourris-tu la tête avec toutes ces pensées négatives ? Qu'est-ce que tu gagnes à penser de cette façon ?» À vrai dire, je n'y gagne pas grand-chose, je me sens totalement isolé, sans aucune échappatoire. Je ne provoque pas ces pensées, ce sont elles qui me provoquent, je ne les désire guère, je ne souhaiterai que me concentrer sur ce qui existe de positif, mais là me vient une question à laquelle je désespère d'apporter une réponse irréfutable : en serai-je vraiment capable un jour ?

Arborescence infernaleWhere stories live. Discover now