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Nous sommes de véritables extraterrestres, et chaque chose de la vie quotidienne sont des énigmes, des occasions de se dire à quel point nous sommes bêtes par rapport aux autres. Car ces mêmes choses sont pourtant si simples... Pour moi, rien ne va de soi et tout est occasion à douter, à trouver le piège, la faille. Notre confiance en nous est bien souvent très faible, car nous ne faisons pas grand-chose comme les autres.

Je me suis très souvent surpris à penser que ce que je vois n'est jamais remarqué par les autres, mais qu'en revanche, ce que voient les autres ne m'effleure jamais l'esprit. Cette impression de décalage permanent trouverait donc sa source dans ce même-problème. Cela expliquerait aussi le fait que tant de gens m'ont vu pendant toutes ces années comme quelqu'un de gauche, incompétent, pour ne pas dire inutile.

Ma première expérience professionnelle a été un véritable enfer. Je souhaitais me lancer dans ce que l'on appelle un «service civique», mon entretien s'était apparemment très bien passé, puisque je fus immédiatement rappelé par la présidente de l'association à laquelle je postulais pour me notifier de l'acceptation de ma candidature. Cependant, les choses se sont très vite dégradées au fil du temps.

Je me suis très vite senti mal en raison de ce décalage incessant, aucune initiative n'était bonne, aucun mail n'était bien écrit, aucune directive n'était respectée correctement. Je me suis retrouvé pendant neuf mois dans une structure aussi étouffante que familière par rapport à l'environnement scolaire dans lequel j'avais tenté tant bien que mal d'évoluer et de me construire à travers ces années. «Familière» dans le sens où je ne me sentais à ma place nulle part où j'étais, je m'avérais vite être inutile et inefficace, quelque soit la chose que je faisais, ou plutôt que je tentais d'entreprendre.

Quand j'y pense, l'utilisation du mot «familier» possède une certaine connotation d'apaisement et de repère stable, alors que tout cela n'était qu'instabilité et insécurité, me rappelant un endroit où je ne me suis jamais senti épanoui et en sécurité, ou alors vraiment de très rares fois.

Alors je n'osais plus rien faire, je n'osais plus rien dire. Je me suis néanmoins rendu compte avec le recul que j'avais tout de même vécu de nombreuses humiliations et de pics de la part de celui qui était mon tuteur, du moins, c'est ainsi que je l'avais vécu.

L'hypersensibilité n'est franchement pas un cadeau, elle vous fait toujours vous sentir aux aguets, en alerte, vous force à vous mettre à l'écart, de peur de trop absorber un apport énergétique malsain de la part de votre environnement. Vous vous fatiguez ainsi très vite et vous vous retrouvez perdu dans vos pensées, ce qui finit par vous épuiser. On pointait du doigt ma tendance à m'isoler très souvent du reste de l'équipe. Et pourtant, seul, dans mon coin, c'était le seul endroit où je ne suffoquais pas trop.

Comme je l'avais dit, le moindre grain de sable vous ralentit grandement, voire vous stoppe dans votre élan. Et ce que j'ai vécu pendant ces neufs mois me l'a rappelé quotidiennement, continuellement, à chaque heure, à chaque minute, mais il fallait tenir bon.

Je suis alors retrouvé au bout de ces neufs mois avec une confiance et une estime de moi-même encore plus dégradées qu'avant. La seule chose qui me faisait tenir bon était de savoir que j'allais recevoir de l'argent à la fin du mois et que je pourrais alors me payer un superbe voyage qui me consolerait et me permettrait de prendre enfin de la distance avec ce que j'étais en train de vivre.

Je n'ai d'ailleurs pas pu attendre la fin de ces neufs mois de contrat pour partir en voyage, je me suis alors rendu à Copenhague pendant quatre jours pendant mes congés. Mais, ce que je redoutais arriva, il m'était impossible de ne pas penser à mon travail. J'étais régulièrement au téléphone avec une de mes collègues pour m'assurer que tout allait bien, j'avais l'impression que j'étais en train de faire quelque chose de mal en partant quelque jours, que je les abandonnais, que j'allais être taxé de fainéant, que je n'allais manquer à personne.

Mon contrat commençant en septembre, je m'étais retrouvé sur le point de donner ma démission à Noël, j'ai alors profité de ces deux semaines de congés pour réfléchir à ma décision finale. Je suis finalement resté, «cela aurait été trop dommage de partir à mi-chemin» pensais-je.

Arborescence infernaleWhere stories live. Discover now