DESTIN

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Sérieusement, sur une probabilité de combien tout cela aurait-il pu arriver ?

Non mais attends. Attends une petite minute. Et si elle ne l'avait pas oubliée, cette invitation ? Celle qu'elle avait soigneusement posé sur son meuble, près de la porte, à côté du saladier où elle pose ses clefs pour justement penser à la prendre. Ou même avant, tiens : et si elle n'avait pas autant tardé pour essayer cette robe – cette magnifique robe qui plaisait tant à Lucy – pour ensuite l'acheter et se rendre compte à la dernière minute qu'elle a effiloché une partie ? Et bien, la table de son salon ne se serait pas transformée en table d'opération pour sauver cet habit qu'elle avait ensuite fourré en quatrième vitesse dans son bagage. Ou plus tard : si elle ne s'était pas coupée avec le fil du papier en imprimant son billet. Si elle n'avait pas trébuché et cassé son talon pour devoir par la suite troquer le tout pour une paire de tennis ô combien d'avantage confortable en plein milieu d'un trottoir. Si elle n'avait pas fait tomber ses pièces qui roulèrent lamentablement sous le siège d'un taxi en ayant farfouillé dans son porte-monnaie.

Si la roue de sa valise n'avait pas décidé de lui faire du tord.

Si elle s'était précipitée un tout petit peu plus vite vers les portes d'embarquement.

Mais peut-être que ça n'aurait rien changé. Peut-être que ce ne sont pas ces facteurs qu'il aurait fallu prendre en compte, que tous ces nombreux petits retards n'ont rien à voir avec le problème du moment. Non. Peut-être que si ça n'avait pas été ça, ça aurait été autre chose : les informations, la météo qui aurait pu jouer en sa défaveur. Qu'importe, cependant : Erza n'a jamais cru en ce qui se nomme « fatalité » ou encore « destin ». Tout comme le fait qu'un avion puisse être à l'heure. Bon, qui y croit encore, d'ailleurs ? Là n'est pas le problème, de toute façon. Son problème, c'est ce qui inclue le fait qu'elle vient d'arriver aux portes d'embarquement – complètement essoufflée – pour trouver les hôtesses en train de barrer l'accès avec un visage souriant – un vrai sourire, pas un qu'elle compose par obligations – tout en éteignant leur PC. Au dessus d'elles, le pendule indiquait « 18 h 50 » et, juste derrière la vitre, l'avion semble une forteresse imprenable, une destination impossible, une douce illusion. Et, à voir leur tête, il est clair que plus personne ne monte à bord de la boîte métallique.

Quatre minutes. Juste quatre minutes de retard, bon sang ! Ce n'est rien, pourtant, quand y pense un peu : c'est le temps d'une publicité, de chauffer un plat au micro-onde. Oui, ce n'est rien. Alors qu'est-ce qui l'empêche de se ruer vers cet engin ? Tous les jours, dans n'importe quel aéroport, des gens parviennent à attraper leur avion au dernier moment pour souffler comme des bœufs tout en fourrant leurs sacs dans le casier à bagages et ensuite s'écrouler de soulagement sur leur siège pendant que l'avion prend son envol.

Cependant, ce n'est pas le cas de Erza Scarlett.

Elle, elle est là, plantée devant la baie vitrée à regarder l'imposant véhicule s'éloigner.

Sans elle.

Erza laisse ses paupières se fermer, juste un instant, puis elle les rouvre, doucement.

L'avion est parti.

Qui aurait pu imaginer que quatre minutes allaient tout changer ?

* * *

Erza n'a toujours pas bougé. Elle est là, regardant à l'extérieur. Tout est noir. Il y simplement les petites lumières qui signalent les avions et la piste d'envol ainsi que d'atterrissage, du coup. Elle voit son reflet : celui qui montre son visage aux yeux en amande étonnement peu cernés malgré le stress des préparatifs et de son espoir de ne pas arriver en retard. Ses longs cheveux écarlate sont en fouillis. Sa course n'a pas aidé à ce qu'il soit aussi bien coiffé qu'à l'accoutumé. Derrière le comptoir, elle voit le personnel devenir impatient et il est évident qu'elle est l'obstacle qui les sépare de la fin de leur service tant attendue. Et elle les comprend : travailler au sein d'un aéroport n'est pas forcément le meilleur métier au monde. Mais autant elle le réalise, autant elle ne parvient pas à faire la même chose avec le fait qu'elle ai raté son vol.

Des moments de la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant