« MAIS »

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Chaque jour, il fait le même chemin. Sa routine n'a jamais été bouleversé. Cependant, comme pour tout début d'histoire, il y a un « mais » qui finit par traîner. Gerald Fernandez, du haut de ses dix-neuf ans, ne fait pas exception avec cette logique ancestrale.

Ça a d'abord commencé avec du retard. Beaucoup de retard. Les excuses sont nombreuses – un réveil qui n'a pas sonné, un chat trop entêté qui refuse de rentrer, une vieille dame ayant besoin d'aide, une circulation mauvaise –. Sauf que ce n'est pas très important. Du moins, la phénoménale gueule de bois qu'il se coltine l'aide à énormément relativiser pour ne pas sombrer dans une migraine plus désagréable.

Son absence remarquée par trois camarades de fac s'est enchaînée par un trébuchement. Le genre qui finit douloureux. Les marches sont dangereuses – et il est heureux que personne est assisté à cette chute risible –. Sa cheville le lance un peu, faute de se l'être quelque peu tordue. Se faire mal ne lui plaît pas. Son compte bancaire touche de près le négatif et sa maigre bourse d'étudiant n'arrive pas avant un moment donc, aller chez le médecin ? Non, ce n'est certainement pas dans ses plans.

Pour continuer cette journée désastreuse – parce qu'il n'y a pas d'autre mot pour la qualifier – le jeune homme a oublié les fiches récapitulatives pour son oral. Le même oral qui influence son semestre. Ce n'est pas qu'il n'a pas plongé son nez dans des révisions, au contraire, mais qu'avoir eu la fâcheuse idée de festoyer hier ne lui a pas permis d'être entièrement prêt pour ce jour fatidique.

Voilà donc une déprime qui le guette pour l'après-midi, celui qu'il est censé passer avec Ultia. La même Ultia qui a annulé à la dernière minute parce que son compagnon est malade – et qu'elle n'a envie qu'il meurt d'une petite fièvre qui a l'air de le terrasser –.

Alors, oui, l'étudiant est sur le campus plutôt calme de l'université, sous un soleil chaleureux et un ciel bleu, allongé sur l'herbe, avec pour seule occupation une douce musique menaçant de l'embarquer vers un profond sommeil.

Le « mais » débarque maintenant.

Il s'est d'abord matérialisé avec un parfum. L'odeur est fruitée, florale. Elle est subjuguante, tant que lorsque la brise a le malheur de s'arrêter, Gerald se redresse subitement. Il tourne la tête, désireux d'en trouver la provenance.

Le « mais » s'est alors transformé en une jeune femme. Une belle jeune femme. Elle porte une robe blanche, parfaite, qui rend ses cheveux écarlates bien plus voyants. Les mêmes qu'elle prend dans une main experte pour les tordre en un chignon négligé – mais ce n'est pas grave parce que ça lui donne un air plus merveilleux encore –. Son souffle se perd tandis qu'elle regarde dans sa direction.

Ses yeux sont marrons. Ou caramels ? L'ambre a fondu dedans pour couler en une rivière paisible, celle dans laquelle il se noie. Son cœur fait le traître – il a arrêté de battre pour repartir avec une rapidité qui oblige son pouls à s'affoler –. Ses lèvres devenues sèches s'entrouvrent mais aucun son veut sortir.

Des doigts fins remettent une mèche rouge derrière son oreille, ses prunelles toujours ancrées dans les siennes. Il voit le coin de sa bouche tressauter. Il arrive à percevoir le moindre ses petits mouvements et c'est peut-être incroyablement cliché, stupide, incohérent, mais là, , maintenant, sous la brûlure de son regard, son âme vibre et s'emballe, désire s'unir avec celle de la rouquine.

Le sourire sur son visage dévoile ses dents blanches et parfaites. L'honnêteté le transperce, manque de l'achever pour de bon – et elle le sait, oui –.

Le « mais » n'est alors plus juste une demoiselle apparue soudainement.

Il est aussi un détour vers des sentiments tumultueux.

Et une histoire qu'il n'est pas prêt d'oublier.

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