NE RIEN VOIR VENIR - II

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Des doigts brûlants et familiers viennent caresser sa nuque exposée. Un frisson remonte le long de son échine, elle qui n'est pas encore totalement habituée à la présence du démon qui est entré dans sa vie, il y a de ça un mois et demi maintenant. Erza soupire et tourne la tête, délaissant sa séance de méditation pour accorder son attention à ce qui est tout comme son colocataire.

« Ça va ? »

Il a dû se mettre à côté d'elle. Elle sent son genou toucher le sien et cette impression que son regard la transperce la fait remuer sur place. Se retenant d'éplucher la peau de son pouce, la rouquine remet en place sa paire de lunettes de soleil. Elle sait pourquoi il lui demande ça et elle n'a pas l'habitude de cette soudaine compassion.

« Je vais bien. Tu n'as pas à t'inquiéter. »

Gerald se rapproche un peu plus. Son parfum musquée caresse ses narines. Elle a du mal à dire quand remonte la dernière fois où elle a vécu une telle proximité.

« Tu es sûre ?

- Ce n'est pas la première fois que ça arrive tu sais. J'ai l'habitude. »

Être aveugle signifie que les gens essaient de profiter tout le temps, ou sont généralement grossiers et agités, pensant qu'ils sont « serviables ». Et ce sont très souvent ces personnes qui se croient « serviables » qui deviennent plutôt agressives lorsqu'elle leur demande de s'arrêter, la laissant alors bouleversée et perdue. C'est qui semble beaucoup contrarié le démon, qui a assisté à cette scène, plus tôt dans la matinée.

Une chose étrange, à propos de cette entité, c'est que personne ne la voit. Personne ne peut la toucher. À part elle. Bon, elle n'a pas la possibilité de savoir à quoi il ressemble mais elle s'est faite une idée, en dessinant son visage avec ses doigts. Le fait qu'un autre être humain soit au courant du lien l'arrange ; au moins, pas besoin d'expliquer en quoi son court séjour en Espagne a été un véritable cauchemar. Par contre, c'est moins amusant de trouver une explication quand un objet se brise soudainement, en pleine discussion avec un invité. Et lorsqu'elle essaie de lui expliquer qu'il doit se faire discret quand quelqu'un est chez elle, Gerald a la fascinante particularité de se vexer en une seconde. Bouder, c'est une chose. Mais déclencher des cataclysmes à cause d'une mauvaise humeur... c'en est une toute autre.

« Je n'aime pas que des gens puissent te traiter de cette manière. »

Erza esquisse un sourire qu'elle espère doux et rassurant.

« C'est rien, insiste-t-elle. Et puis, c'est passé. »

Il soupire et une légère brise caresse son visage, signe qu'il a fait un mouvement. Elle entend le froissement de son vêtement. La seconde d'après, ses cheveux sont détachés et retombent sur son dos. Elle hausse un sourcil et Gerald rit doucement.

« Tu es mieux comme ça. »

Une chaleur s'invite sur ses joues avant qu'elle ne cherche à mettre de la distance entre eux deux. C'est exactement dans ce genre de situation qu'elle oublie qu'il n'est pas n'importe qui.

« Si tu le dis, marmonne-t-elle en frottant ses paumes moites sur son jean. Je ne peux pas vérifier.

- Tu dois me croire alors.

- Je suppose. »

Le démon joue avec quelques mèches, avec une délicatesse qui manque de la faire frissonner. Puis il s'écarte ; Erza entend distinctement ses pas, même discrets, qui lui indiquent qu'il vient de traverser le salon. Son absence n'est pas longue mais pourtant, lorsqu'il revient, il tient quelque chose. Elle peut jurer entendre quelque chose se frottant contre du carton.

« J'ai... un petit quelque chose qui fera que ça ne se reproduira jamais. »

Son menton se relève légèrement et elle renifle. La vague odeur du souffre se dégage de la boite. Quand elle glisse avec une certaine hésitation ses doigts, elle sursaute ; des poils doux, soyeux, et une langue chaude vienne caresser sa paume. Elle halète sous la surprise.

« C'est-

- Le plus merveilleux de tous les chiots, oui, la coupe-t-il. À partir d'aujourd'hui, il t'accompagnera lors de tes sorties, quand je ne pourrais pas être là. »

Gerald ne lui laisse pas l'occasion de refuser et, à vrai dire, elle ne cherche pas à le faire. Surtout lorsqu'elle constate que sa vie s'est nettement améliorée depuis la présence canine. Malgré qu'elle lui ait demandé plusieurs fois, le démon n'a jamais dit où il a mis la main sur ce chien. Il lui a simplement précisé qu'il s'agit d'une race rare incroyablement intelligente et protectrice. Elle n'a pas réussi à empêcher ce sentiment chaleureux de s'installer dans son ventre, lorsqu'elle a réalisé à quel point ce démon semble se soucier de son bien-être.

Ce chiot, contrairement aux autres, a l'air d'avoir une croissance assez rapide. Elle se souvient encore du jour où son poil lui chatouillait les mollets. Ça doit remonter à quoi... une semaine ? Maintenant, voilà qu'il atteint ses hanches. Toujours avide de caresses, toujours prêt pour l'aider dans ses tâches, ce nouveau compagnon est une boule de douceur qui rend ses journées et ses nuits moins remplies de solitude, quand Gerald n'est pas là.

Mais la plus grosse amélioration réside lors de ses balades. Le traitement des personnes autrefois « serviables » a totalement changé ; maintenant, ils demandent si elle a besoin d'aide et ne posent absolument plus la main sur elle, sans avoir la permission. Quoique. À vrai dire, plus aucun passant n'a cherché ça. C'est plutôt comme si les habitants tentaient de l'éviter, elle et son chien. Peut-être qu'ils sont intimidés par lui ? Erza sait qu'il est plus grand que la normal et qu'il a une carrure imposante, que parfois il grogne fort et d'une façon très bestial quand il flaire une menace, mais de là à avoir une voix tremblante en lui demandant si elle n'a aucun soucis...

Finalement, elle hausse les épaules.

Qui aurait cru qu'accepter un chiot de la part du démon le plus puissant des enfers serait aussi bénéfique ?

Des moments de la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant