Chapitre 1

41.1K 1.7K 130
                                    



La saison hivernale s'approche un peu à peu. La luminosité et la durée du jour s'amenuisent considérablement à chaque jour qui passe. Le froid, quand à lui devient plus vif, plus mordant. Les hommes rentrent au port de leur voyage, ramenant avec eux les provisions dont nous aurons tous besoin pour passer la saison froide. Une fois amarrés, les bateaux resteront au port jusqu'au retour du printemps. Bientôt la mer se déchaînera, le vent soufflera, la neige tombera, ma terre, elle, se reposera et nous ne sortirons que très peu du village.

Comme chaque jour qui rythme ma vie depuis aussi loin que je m'en souvienne, je me lève et enfile rapidement ma robe de laine au dessus de ma chemise. Puis je mets mes chaussures, le tout le plus discrètement possible afin de ne pas réveiller mes compagnes de chambres ni les maîtres de la maison.

Je me déplace avec précaution dans le noir jusqu'à la halle, la pièce principale de la maison, et ajoute plusieurs bûches dans l'âtre avant que le feu ne s'éteigne définitivement. Voyant que la réserve de bois diminue, je sors en chercher sans oublier de prendre ma cape de laine au passage. Même si je suis habituée à la chute des températures, je ne peux m'empêcher de frissonner en sentant la morsure du vent froid contre ma peau. Je récupère rapidement le bois pour tenir la journée avant de retourner le ranger dans la maison. Sur le retour, je croise Alma, esclave comme moi. Il est vrai qu'à une heure aussi matinale, seuls les esclaves sont dehors.

Une fois ma première tâche de la journée accomplie, je vais réveiller Frida, notre cuisinière pour qu'elle se mette aux fourneaux avant le réveil du jarl et de sa famille. Je rentre dans notre chambre sans bruit pour permettre à Ragna, ma meilleure amie, de dormir encore quelques instants avant de se lever pour s'occuper de Haagon. C'est le plus capricieux des petits garçons de dix ans que je connaisse. Mais Ragna ne peut rien dire, car Haagon est le second fils de notre puissant jarl, Jorund. C'est un chef de clan puissant et renommé, ici au Danemark. Il est aussi craint dans beaucoup de contrés alentours. Et nous aussi nous le craignons, notre rang d'esclaves nous rendant parfois vulnérables. Plusieurs fois Ragna a été punie pour des bêtises faites par Haagon.

_ Frida . . . Frida . . ., chuchotais – je en la secouant doucement pour l'aider à se réveiller.

_ Hum, . . . c'est bon Aslaug, je suis réveillée et Ragna ? Me demande – t – elle.

_ Elle dort encore, être l'esclave d'Haagon n'est pas de tout repos, dis – je simplement.

_ Et ses corvées, . . . elle doit récupérer des plantes médicinales pour guérir la blessure de notre jarl, si . . .

_ Ne t'inquiète pas Frida, Bergthora m'a montré ce que je dois ramener. Je suis une élève plus assidue que Ragna de toute de façon, la coupais – je en haussant les épaules.

_ Elle ne mesure pas la chance qu'elle a d'avoir une amie telle que toi ma belle, termine Frida en se levant.

_ Nous avons toutes les deux de la chance, rétorquais – je à Frida avant de quitter les lieux mon panier à la main.

Affrontant de nouveau le froid matinal, je me dirige vers la crête qui surplombe le port. J'ai raison, j'ai de la chance d'avoir Ragna. Elle est ma plus fidèle amie, je la connais depuis toujours et ne compte plus le nombre de fois où enfant, elle avait pris ma défense. Sa mère m'a nourrie et habillée comme une de ses filles. Et je l'avais pleurée comme une fille pleure sa mère lorsqu'elle est morte l'année de nos quatorze ans.

Sans m'en rendre compte, j'arrive déjà sur le sommet de la crête. Je suis encore et toujours subjuguée par la vue de cette mer déchaînée. Cette houle forte et vigoureuse qui s'écrase sur les rochers acérés des côtes danoises. Le vent siffle dans mes oreilles, et ma capuche tombe en arrière. Les embruns me fouettent le visage et le vent joue dans mes longs cheveux auburn. Cette nature abrupte et sauvage est magnifique comme le peuple viking qui l'habite.

Perdue dans ma contemplation de la nature  et de l'océan déchaîné, je n'entends pas la personne qui arrive derrière moi. Quand je sens enfin sa présence, il est déjà trop tard. Ce dernier m'attire contre son torse en enroulant un de ses bras autour de ma taille. Il plaque son autre main sur ma bouche pour m'empêcher de crier. Je me débats comme je peux quand ce dernier nous fait tomber au sol. Nous effectuons quelques roulades sur le sol durci par le gel qui me laisseront sans nul doute quelques bleus demain matin.

Je commence sérieusement à paniquer quand j'entends rire mon assaillant. Je lui mords la main ce qui lui fait lâcher prise.

_ Quelle sauvageonne tu es ma chère Aslaug, me dit – il en regardant la main que je venais de mordre.

_ Ulrik, soufflais – je en me redressant sur un coude incapable de dire autre chose.

Je suis toujours aussi mal à l'aise en sa présence, ce qui lui l'amuse toujours beaucoup. Pourtant nous nous connaissons depuis toujours. Mais avec le temps, l'enfant chétif est devenu un beau jeune homme, grand, fort. Il est devenu l'un des plus bel homme du village et toutes les filles essaient de s'attirer ses faveurs. Qui plus est, en plus d'être un excellent guerrier, Ulrik est le fils aîné de notre jarl. Je secoue alors la tête pour me remettre les idées en place.

_ Excusez moi Ulrik, je dois cueillir certaines plantes médicinales pour soigner la blessure de notre jarl, votre père, dis – je en essayant de me lever.

_ Aslaug, cesse donc de mettre de la distance entre nous, ne vois – tu pas . . . commence – t – il mais je ne laisse pas finir.

_ Non Ulrik, je baisse aussitôt les yeux à cause du ton un peu trop vif que j'ai employé puis je reprends plus doucement, veuillez m'excuser mais je dois m'acquitter de ma tâche. Je ne veux pas que notre jarl souffre par ma faute.

Cette fois, Ulrik lâche sa prise sur moi et me laisse me redresser. Je m'acquitte alors de ma tâche et cueille les dernières plantes dont j'ai besoin sous le regard brûlant de ce dernier. J'ai depuis toujours des sentiments pour lui comme beaucoup de jeunes filles du village. Et je ne sais que trop bien que ma condition d'esclave m'empêche d'espérer la moindre possibilité d'un avenir avec lui.

_ Vous ne rentrez pas au village ? Demandais – je mal à l'aise à l'idée de ce que les autres penseraient en nous voyant revenir de la crête ensemble à une heure aussi matinale.

_ T'inquiéterais – tu de ta réputation jolie Aslaug, me demande – t – il sérieusement.

Dans un sens il n'avait pas tort. Certaines filles pourraient essayer de me causer du tort si elles savaient. Quand à ma réputation, seul ce que je pense compte à mes yeux.

_ Je m'inquiète plus pour la votre que pour la mienne, tentais – je d'éluder.

_ Détrompes toi Aslaug, les hommes m'envieraient d'avoir fait mienne la plus belle des femmes de notre village et des villages avoisinants, me dit – il en ancrant ses yeux gris comme l'écume de mer dans le vert des miens.

Je reste paralysée alors qu'Ulrik s'approche de moi. Je sais que je devrais bouger mais j'en suis incapable. Sa main chaude se pose sur ma joue, recouvrant ma peau de frissons. Pour réagir et me soustraire à l'emprise de cet homme fort et robuste, je tourne la tête vers l'océan sans pour autant rompre le contact avec sa main.

Mais je n'écoute plus ce qu'il me dit . . . des navires arrivent . . . et ce ne sont pas les nôtres, car ils sont tous au port.

Sans plus attendre, je pose ma main sur son visage et le tourne en direction des bateaux qui viennent vers nous. Je sens Ulrik se raidir et jurer dans sa barbe

_ Tu vas bien m'écouter, cours au village, préviens mon père et mets à l'abri les petits et ma mère dans la forêt, me dit – il.

J'acquiesce d'un signe de tête, mais au moment où j'allais partir, Ulrik m'attire violemment contre lui et pose durement ses lèvres sur les miennes. Ce bref contact ne dure que quelques secondes mais mon cœur est lui sur le point de défaillir.

_ Fais bien attention à toi Aslaug et ne t'inquiètes pas, je te retrouverai, me dit – il avant de me laisser partir.

VikingWhere stories live. Discover now