Chapitre 30

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Sigfrid fait tout ce qu'elle peut pour me distraire. Et à ma plus grande surprise, je me dois d'avouer qu'elle y arrive bien plus que je ne l'aurais cru. Et le fait de s'assurer que mon verre ne soit jamais vide l'aide probablement un peu.

Plus la soirée passe, plus je me détends commençant à savourer les mets et les agréments de cette soirée. Pourtant quand Gunnar fait son entrée au bras de Ragna, mon cœur se serre à l'idée que mon ami puisse vivre son histoire au grand jour. J'espère juste qu'il ne regrettera pas d'avoir été si vite avec cette dernière. Mais Sigfrid qui n'apprécie guère ce genre de démonstration se charge d'attirer de nouveau vers elle mon attention.

_ Thorsten, . . . Thorsten, . . . tu es avec moi ? Me demande-t-elle en exerçant une légère pression sur mon bras qu'elle n'a pas lâché depuis un bon moment.

Je tourne alors la tête vers elle, vers celle qui se doit d'être mon futur. Elle plonge son regard bleu dans le mien. Son petit air mutin qui me faisait tourner la tête réchauffe mon corps. Il est vrai qu'elle et moi avions rarement respecté les règles en nous unissant avant notre mariage. Comme nous étions destinés pourquoi attendre. Les souvenirs et la boisson aidant, mais surtout je veux faire taire le vide que Eivor a créé.

Mon regard passe alors des yeux de Sigfrid à sa gorge pour finir sur les rondeurs dénudées de sa poitrine. Cette dernière surprend mon regard et se met à respirer de façon plus prononcée en accentuant la pression de ses doigts sur mon bras. Son regard et ses gestes se font enjôleurs et j'y réponds pour ne pas réfléchir.

Rapidement Sigfrid m'entraîne dans les sombres couloirs du château où nous nous sommes si souvent embrassés et caressés à l'abri des regards indiscrets. Arrivée dans une alcôve, elle fond sur mes lèvres. Ses lèvres sont fraîches et ont un goût d'alcool. Sa langue n'est pas aussi douce, ce n'est pas comme celle de . . .



Arrivée en cuisine, à mon air déconvenue, Adélaïde comprend tout de suite que quelque chose ne va pas. Elle laisse sur le champ ce qu'elle fait et me rejoint tout de suite.

_ Eivor, ça ne va pas ma belle ? Tu es blanche comme un linge, me dit-elle en posant ses mains sur mes épaules.

_ J'ai renversé mes pichets dans le couloir, lui répondis-je en baissant les yeux honteuses de ma mésaventure.

_ Ce n'est rien ma belle. Hanna va nettoyer, me dit-elle.

_ Non, . . . je . . . je vais le faire, l'interrompis-je. Et puis, je ne me sens plus vraiment à l'aise ni à ma place dans la grande salle, repris-je en fixant le sol.

Adélaïde me scrute de haut en bas plusieurs fois avant de m'entraîner dans un recoin calme de la cuisine.

_ Bon, tu me diras pas ce qui s'est passé, commence-t-elle.

Je secoue la tête de gauche à droite pour confirmer ses dires.

_ Bien. Le seau et la brosse sont là-bas. Quand tu auras fini, reviens en cuisine, je te trouverai de quoi t'occuper ici, Hanna te remplacera en salle, termine-t-elle avec un sourire réconfortant.

Je la remercie d'un signe de tête et file chercher le seau et la brosse pour nettoyer le couloir. J'arrive à retrouver le chemin tant bien que mal. Ce château étant un vrai labyrinthe. Mais plus je m'approche . . . et plus j'ai l'impression qu'il y a un couple juste à quelques mètres de moi, . . . juste à l'endroit de ce que je dois nettoyer.

Pendant un bref instant, j'hésite à m'approcher pour m'acquitter de ma tâche. Si Vidrün apprend que je n'ai pas nettoyé et que des invités se sont plaints. La sanction risque d'être pour le moins douloureuse. Je suis paralysée, incapable de prendre une décision. C'est alors que le visage haineux de Vidrün m'incite à me réveiller pour avancer. Il vaut mieux que je nettoie avant qu'il n'y ait un problème.

Au fur et à mesure que je progresse, mes mains serrent de plus en plus fort le seau et la brosse. Mais quand je vois le jaune, . . . le jaune de cette robe, . . . mes mains deviennent moites et j'avance de plus en plus doucement comme si je redoutais ce que j'allais voir.

Et ce n'est rien face à la douleur qui brise mon cœur pour finir par se répandre dans mes veines tels un poison sournois quand je la vois . . . quand je le vois . . . quand je les vois. Sigfrid est dans ses bras. Dans les bras de Thorsten. Ils sont là devant moi s'embrassant passionnément. Je le savais. Je savais qu'une fois arrivée ici, il me faudrait oublier ce que nous avions vécu. Je ne représentais rien pour lui, juste un passe temps sur une île.

Pourtant les voir s'éteindre me brise entièrement. Mon cœur réagit avant mon cerveau. Et au lieu de rebrousser chemin de façon discrète, je laisse tomber tout ce que je tenais solidement il y a encore quelques instants.

Sigfrid pousse alors un cri de surprise en s'arrachant aux bras de Thorsten quand mon seau heurte le sol avec fracas. Quand il pose les yeux sur moi, je suis déjà tombée à genoux pour ramasser le seau et la brosse. Je relève la tête les yeux brûlants des larmes que je retiens. Je n'ai pas le temps de m'excuser que ce dernier prend la parole.

_ Eivor, que fais-tu là ? Me questionne-t-il avec une lueur dans son regard que je me refuse à analyser.

Je prends quelques secondes pour me rappeler ce que je suis et où est ma place, ce que j'avais un temps oublié avec lui.

_ Veuillez m'excuser, je revenais nettoyer le vin et la cervoise que j'avais renversé à cause de ma maladresse, répondis-je sans jamais lever les yeux vers lui.

_ Mais quelle maladroite tu fais ma pauvre ! De plus tu as éclaboussé ma robe de fiançailles, lâche Sigfrid avant de mettre la main devant sa bouche comme si elle avait dévoilé un secret.

Thorsten fait alors volte face vers elle, alors que je relève la tête doucement pour ne pas m'effondrer suite au flot d'émotions qui me submerge. Cette dernière coule un regard satisfait vers moi, contente d'avoir toute l'attention de Thorsten sur elle. Non contente de cela, elle lui prend la main et l'éloigne de moi. Il la suit sans même un regard en arrière.

Mon regard retombe sur le sol maculé d'un mélange de vin et d'eau savonneuse. Je commence à frotter les dalles de pierre aussi fort que je le peux. Bientôt des larmes brûlantes ruissellent sur mes joues alors je frotte plus fort . . . jusqu'à ce que mes mains saignent. Je ne sais pas combien de temps je suis restée là à frotter. C'est Aurora qui m'arrête en posant sa main sur mon épaule avant de m'enlever délicatement la brosse des mains.

_ Arrête, . . . arrête Eivor, depuis quand es - tu là , murmure-t-elle.

Je suis incapable de lui répondre et m'effondre sur le sol sans même avoir prononcé un mot.



_ Comment cela nos fiançailles, repris-je. De quoi parles-tu Sigfrid, articulais-je difficilement encore sous le choc d'avoir revu Eivor. Ce qui m'avait fait le plus mal était l'expression de sa douleur et la trahison que j'avais lu dans ses beaux yeux émeraudes. Mais pour l'instant, je devais avant tout m'occuper des propos de Sigfrid.

Cette dernière m'éloigne d'Eivor avant de se stopper dans une alcôve, un peu plus loin avant de me faire face à nouveau. Je la dévisage suspendu à ses lèvres et à la réponse qu'elle va me faire. Cette fois, son visage se fait plus dur moins avenant. En fait, je dirai même que j'y décèle comme de l'agacement.

_ Thorsten, nous ne pouvons plus attendre plus longtemps. Nous aurions du nous marier il y a plusieurs semaines de cela maintenant. J'ai accepté de repousser nos noces jusqu'à ton retour . . . mais là ce n'est plus possible, termine-t-elle en prenant ma main et en la posant sur son ventre.

Tout se met à tourner vite, très vite dans ma tête. Puis la nuit précédant mon départ pour le Danemark me revient en mémoire mais elle ne me laisse pas le temps de poursuivre mon cheminement.

_ J'ai pu le cacher jusqu'à présent mais cela devient de plus en plus difficile et puis . . . nos familles sont tombées d'accord sur le montant que chaque clan doit verser à l'autre , termine-t-elle en caressant ma main restée sur son ventre.

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