Chapitre 12

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À peine suis-je sortie de la chambre de Thorsten que j'entends son poing s'abattre violemment contre le mur de pierre. Ma première réaction est d'aller voir si tout va bien, de le soigner . . . mais je ne peux pas. Je dois mettre de la distance entre lui et moi, et le plus vite possible.

Je me laisse alors tomber à côté de l'âtre du feu et . . . laisse mes larmes silencieuses mais douloureuses rouler le long de mes joues. Je finis par m'endormir à même le sol épuisée par la fatigue et mes pleurs. Mais mon sommeil n'en reste pas moins agité. J'y vois Thorsten découvrir mon secret, je lis alors la déception et la trahison dans son regard puis le dégoût ce qui me brisent définitivement le cœur.

Heureusement pour moi, je me réveille avant l'aube mais aussi épuisée que lorsque je me suis effondrée la veille. N'entendant aucun bruit provenir de la chambre de Thorsten, j'en déduis qu'il a fini par trouver le sommeil. J'en profite pour sortir récupérer du bois, puis je rentre préparer un petit déjeuner.

Voyant qu'il tarde à se réveiller, je n'attends pas plus longtemps et en profite pour rassembler mes affaires. Cela va très vite, car en fait, je ne possède rien . . . car je ne suis qu'une esclave qui se fait passer pour ce qu'elle n'est pas. Je passe alors ma robe en laine sur ma chemise et rejoins Dagny dans la maison qui nous sert d'infirmerie.

Bien que le trajet jusque chez Dagny soit court, je suis frigorifiée quand j'arrive devant la porte. Et quand elle m'ouvre, sa réaction ne se fait pas attendre.

_ Eivor, par tous les dieux, entre vite ! Tu vas attraper la mort, me dit-elle en me tirant pour me faire entrer plus vite.

Je la suis et l'écoute comme anesthésiée. Depuis ma discussion avec Thorsten, je suis plus que l'ombre de moi-même, sachant que tôt au tard la vérité sur moi sera révélée et que sa réaction me sera insupportable.

Les jours passent, s'égrainent doucement et cette lenteur m'est un peu plus douloureuse chaque jour. Je n'ai rien dit de ce qu'il s'est passé entre lui et moi, mais Dagny n'est pas dupe et me voit dépérir à vue d'œil.

Cela fait maintenant quinze jours que nous sommes installés dans ce petit hameau. Thorsten et Gunnar ont envoyé des volontaires en reconnaissance. Et à leur retour, les nouvelles étaient mitigées. Nous sommes sur une petite île rocheuse et il n'y a que nous. Thorsten et ses hommes ont fait un recensement et il s'avère que nous ne sommes qu'une trentaine de rescapés du naufrage. Pour la plupart, ce sont des guerriers, quelques femmes dont Dagny, Ragna et moi.

Certains des blessés n'ont malheureusement pas pu être sauvés malgré nos soins. Les autres ont quasiment tous quittés l'infirmerie qui est devenue la maison des femmes. Dagny avait accepté de s'occuper des soins de Thorsten. Être proche de lui ne faisait que raviver ma douleur. Il n'avait pas apprécié ce changement mais n'avait rien dit. Cependant, lui qui commençait à s'ouvrir devenait de plus en plus fermé selon les dire de Dagny.

Même si cela angoisse quelque peu le groupe, nous nous sommes fait à l'idée de passer l'hiver sur cet îlot rocheux. Le temps est devenu beaucoup trop instable pour que l'on nous envoie de l'aide. Alors nous rationnons nos réserves, essayons de trouver de nouvelles ressources dans le bois près du village.

Ce matin, je me prépare pour aller dans cette petite forêt avoisinante à la recherche de champignons, plantes comestibles ou médicinales. Alors que je m'apprête à lui demander si je peux lui emprunter sa fourrure, cette dernière avance vers moi avec celle que j'avais plus ou moins prise à Thorsten.

_ Tiens, me dit-elle en me tendant la fourrure. Il est passé ce matin en disant qu'elle était à toi et que tu devais la porter.

_ Non merci, garde-là. Je préfère prendre la tienne, lui répondis-je en me dirigeant vers la sortie. Cette dernière me retient par la main et commence mal à l'aise.

_ Eivor, . . . ne refuse pas son aide. Il tient à toi . . . à sa manière. Enfin, tu vois ce que je veux dire, poursuit-elle en baissant les yeux. Ne refuse pas son aide, ni ce qu'il t'offre, termine-t-elle.

Mes yeux se posent sur la fourrure entre ses mains et je finis par la prendre. Depuis que j'avais quitté la demeure de Thorsten, je n'avais côtoyé que Dagny. Alors avoir quelque chose qui venait de lui, me ramenait en arrière sur les derniers moments que nous avions passé ensemble.

_ Bien, dis-je en la posant sur mes épaules. Je vais dans les bois, je serai de retour pour l'heure du repas.

_ Eivor, j'aimerais t'accompagner, me demande-t-elle timidement.

_ Non, répondis-je un peu trop vivement. J'appréciais ces moments de solitude dans les bois, je redevenais moi-même, Aslaug. Je soupire et reprends avec plus de douceur. Il vaut mieux que tu restes ici. Les hommes s'entraînent ce matin, et tu les connais. Il y aura forcément des blessés alors, . . . tu seras plus utile ici, lui répondis-je avec un sourire sincère qui la rassure.

_ Tu as raison, mais fais attention à toi. Ragna m'a prévenue que certains hommes iraient chasser au nord du bois, m'informe-t-elle le plus sérieusement du monde.

_ Merci, dans ce cas, j'irai explorer la partie sud, terminais-je en prenant mon panier.

Je n'entends pas sa réponse car je me suis déjà précipitée dans le froid vif de cet hiver. Suivant les conseils de Dagny, je ne dirige vers le sud du village et pénètre dans le bois pour y découvrir une partie que je n'avais pas encore explorée.

Alors que je cherche des plantes dans les sous-bois clairsemés par les rigueurs de l'hiver. Mon esprit commence doucement à divaguer et mes pensées dérivent vers lui inexorablement.

Cela fait un moment maintenant que nous ne nous sommes pas croisés. Je sais que c'est idiot . . . que je ne devrais pas penser à lui . . . que cela ne me fera que souffrir mais c'est comme si cela m'était impossible. La douleur est toujours aussi vive quand je repense au moment que nous avons passé ensemble et à son changement d'attitude vis à vis de moi.

Je secoue la tête pour me ramener à la réalité et reprend mes recherches peu fructueuses, quand une brindille craque à quelques mètres derrière moi. Je me retourne lentement, le cœur battant ne sachant pas à quoi m'attendre . . . et un sourire étire doucement mes lèvres.

Une jeune biche se tient fièrement à quelques pas de moi. Elle est magnifique et me regarde sans sembler avoir peur de moi. Elle continue de manger la mousse sur un arbre tout en m'observant attentivement. Je me redresse doucement pour ne pas l'effrayer. Elle relève un peu plus son museau . . . probablement pour me sentir. Je lui tends ma main et avance d'un pas vers elle avec précaution. Semblant comprendre que je ne lui veux aucun mal, elle avance aussi vers moi. Il ne me reste que quelques centimètres à faire pour pouvoir la toucher.

Quand tout à coup, je suis projeté violemment en arrière et heurte le sol avec vigueur. Je suis étourdie mais dans ma chute, j'ai le temps de voir la biche s'effondrer au sol sous les mêmes flèches qui avaient attaquées mon village.

Je mets quelques secondes à intégrer ce qui vient de se passer. Quand je réalise que je suffoque sous le poids d'un homme. Je tourne la tête vers celui qui vient de faire rempart de son corps pour me protéger au péril de sa propre vie.

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