Chapitre 22

9.7K 835 39
                                    


À peine avais - je terminé ma tirade, que Gunnar venait à nouveau d'entrer dans la maison. Il ne remarque pas l'air hagard de son meilleur ami, qui semble intégrer ce que je viens de lui dire, ou mieux, il feint de ne pas le voir.

_ Au tour de tes affaires mon ami ! Tout le monde est déjà prêt à partir, traîne encore un peu et tu resteras sur cet îlot rocheux, lance-t-il la voix rauque.

Pendant un court et bref instant presque irréel, j'ai l'impression que Thorsten essaie de capter mon regard et va dire qu'il ne part plus. Que nous allons rester ici mais . . . je me leurre qui suis - je pour espérer pareil folie.

_ Bien . . . dis à tes hommes de venir récupérer ce qu'il y a ici, reprend-t-il avec sa voix grave et profonde. Celle d'un vrai chef Viking, combatif et fier.

_ Bien dit mon ami, tonne Gunnar avant de partir dans un grand éclat de rire.

Il quitte la maison en chantant cette chanson. Je la connais car les hommes la fredonnaient souvent en rentrant après de longue campagne en mer ou la conquête de nouveaux territoires. J'avais demandé sa signification à la mère de Ragna qui me l'avait expliquée. Elle racontait la joie et le bonheur de rentrer chez soi auprès de ceux que l'on avait quitté. Ce chant me ramène alors à mon enfance. Et à cette époque, il était pour moi synonyme de bonheur, de joie et d'espoir. Alors que là, les larmes me brûlent les yeux tant la tristesse qui s'y cache que me serre le cœur faisant ainsi écho à ma situation.

Thorsten le suit à l'extérieur en commençant lui aussi à entonner ce chant alors que j'enfile ma cape de laine. La maison est rapidement vidée du peu qu'elle contenait mais qui nous était pourtant suffisant.

Je marche quelques pas derrière les hommes de Thorsten. Et pourtant après seulement quelques secondes, je ne peux m'empêcher de me retourner et d'embrasser une dernière fois du regard cette petite maison. Elle avait été un refuge pour moi, . . . pour nous, . . . une pause dans la tempête qui s'abat sur ma vie, . . . mes choix, . . . mes sentiments. La vision de cette maisonnette nimbée dans la lumière déclinante restera parmi les souvenirs que je chérirai le plus . . . quand les temps deviendront douloureux pour moi et jusqu'à mon dernier souffle.

Plus je me rapproche de la plage, plus je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine. Pendant notre route vers la plage, la lumière avait fortement décliné et des feux avaient été allumés. Quand nous arrivons, il règne une agitation assez étourdissante par rapport au calme que nous avions connue pendant l'hiver.

Au milieu de toute cette agitation et des embrassades, je reconnais sa silhouette haute et fière. Il domine l'espace et même si Gunnar est impressionnant de carrure et Audar de haute taille. Thorsten est l'incarnation même du Viking valeureux, conquérant, brut. Tous les hommes et femmes présents autour de nous seraient prêt à le suivre jusqu'au Valhalla sans la moindre hésitation.

_ Prête à embarquer pour l'Irlande ? Me demande Ragna comme excitée à l'idée d'aller là-bas alors que nous sommes des captives et que notre avenir est loin d'être sauf.

_ Oui, lui répondis-je en sursautant de la voir se matérialiser à côté de moi sans un bruit. Cependant je ne lui fais pas part de ce que je ressens au plus profond de moi.

Contrairement à moi, Ragna semble sereine. J'ai parfois même l'impression qu'elle ne regrette pas notre paisible village et qu'elle s'accommode avec plaisir de cette nouvelle vie.

_ Anxieuse ? Me demande-t-elle au bout de quelques secondes de silence.

_ Un peu oui. Nous avançons tout de même vers l'inconnu, répondis-je, pas toi ? La questionnais-je à mon tour.

_ Hum, pas vraiment en fait. Je n'ai pas menti sur mon identité et Gunnar est satisfait de mon travail. Il me prendra à ses côtés là-bas. Donc non, bon courage Aslaug, me lance-t-elle avant de rejoindre les autres femmes qui chargent les barges.

Je la regarde stupéfaite. Avait-elle vraiment utilisé mon prénom ou était-ce un simple oubli ? Le doute sur ses intentions est de moins en moins permis face à l'attitude de Ragna. Je ne comprends pas la réaction de mon amie vis à vis de moi. Nous avions toujours été si proche . . . et . . . et . . . maintenant j'avais la plus horrible de ses sensations. Celle de me retrouver face à une ennemie.

La plage est bondée par les hommes de Thosten et ceux d'Audar et pourtant je me sens seule au monde. La brûlure de mes yeux est annonciatrice des larmes qui vont suivre. Je suis à la limite de me laisser aller quand je sens de nouveau une présence à mes côtés.

_ Ne pleure pas, elle en serait trop heureuse, dit la petite voix fluette de Dagny.

_ Pourquoi dis-tu cela ? M'enquis-je quelque peu soufflée par la remarque de cette dernière.

_ Méfie-toi de Ragna. Elle dit être ton amie mais, . . . commence-t-elle sans finir en secouant la tête pour appuyer ses propos et marquer sa réprobation.

Voyant que je ne dis toujours rien, elle prend la main et s'excuse.

_ Pardon Eivor. Je ne devrais pas parler comme cela d'elle, . . . mais crois moi, elle n'est pas une amie sincère, termine-t-elle.

_ Pourquoi ne peut-elle pas être mon amie ? C'est parce qu'elle est une esclave, dis-je plus durement que je ne l'aurais voulu en la regardant droit dans les yeux.

Surprise de ma répartie, Dagny lâche ma main et fait un pas en arrière devant la violence de mes paroles. Même si je ne comprenais pas les réactions de Ragna à mon égard, . . . elle n'en restait pas moins mon amie d'enfance celle avec laquelle j'avais grandi.

_ Non, . . . bien sûr que non. Cela n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit une esclave . . . Non, mais pour moi quand on a une amie, on ne passe pas son temps à sous entendre des choses peu flatteuses sur elle, termine-t-elle en tordant ses doigts à cause de la nervosité.

J'allais lui demander des explications mais Audar et Thorsten se dirigent droit vers nous. Je remets cette conversation à plus tard et m'apprête à affronter les deux hommes qui sont presque à notre hauteur.

_ Alors Dagny, tu t'es montrée aussi courageuse et digne de confiance que ton père, commence Audar avec un sourire en coin.

Dagny rougit légèrement à ce compliment sincère et réel.

_ Merci beaucoup Audar. Je n'ai fait que mettre en pratique les enseignements de mon père et . . ., s'arrête-t-elle en plein milieu comme si elle cherchait ses mots ou comme si elle réfléchissait à comment amener la suite.

_ Et bien. . . poursuit jeune Dagny, l'invite Audar avec gentillesse ce qui tranche assez avec les traits froids et distants de cet homme.

À ma plus grande surprise, Dagny me prend la main et m'attire près d'elle.

_ Et sans Eivor, je n'aurais jamais pu faire honneur à mon père. Elle m'a sauvée de la noyade et connais de nombreux remèdes elle aussi. Et elle n'a pas hésité une minute à me les enseigner. Eivor m'a beaucoup appris, termine-t-elle.

Puis sur un geste d'Audar, Dagny me jette un regard et je lui souris avant qu'elle ne se dirige vers les barques pour le rapatriement. Alors que je la suis du regard, je sens à mon tour un regard froid et méfiant sur moi.

_ Alors c'est elle ? Demande Audar. C'est celle pour qui nous avons risqué nos vie ? Termine-t-il un peu amer.

VikingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant