Le garçon dans le noir ( S&T) T.1

Chapitre 9

— Je ne demande pas ce qui te fait sourire. C'est le grand, l'unique mister loveboy, bien sûr !

Célia déposa son plateau sans délicatesse sur la table en formica, en face de Travis qui délaissa aussitôt son téléphone.

— Tiens, salut !

— Je ne comprends pas que vous ayez autant de choses à vous dire. Je péterais un câble, moi, si on m'envoyait autant de messages non-stop !

Travis haussa les épaules. Il touillait les pâtes carbonara, dégoûté par le bruit gluant des nouilles. Voyant son air, Célia se mit à rire. Sa queue de cheval entre ses doigts pour éviter aux pointes de tremper dans la sauce, elle se pencha, le nez quasiment dans son assiette.

— Je pense que le lycée essaye secrètement de nous empoisonner à petit feu, certifia-t-elle.

— Je ne vois que ça, oui.

Les spaghettis enroulés autour de sa fourchette, Célia reprit.

— Je sors de deux heures d'anglais. Je savais pas qu'on avait couplé cette matière au chinois cette année. Je suis au bord du suicide.

— Tu exagères...

Travis regretta aussitôt sa bouchée quand un lardon caoutchouteux roula entre ses dents.

— À peine. J'ai un DS lundi et je suis à peu près autant sûre de le réussir que de gagner le prix Nobel de la paix.

— Pourquoi tu ne demandes pas à ton frère ?

Dans ses souvenirs, l'aîné des McRoilly chantonnait ses paroles préférées dans un anglais fluide. Et comme il le mentionnait, il le chercha parmi toutes les têtes présentes à la cantine. Il ne s'y trouvait pas. Travis ne le voyait jamais à vrai dire, même dans les couloirs.

— Il est fort en anglais mais il n'a jamais le temps avec ses entraînements, se plaignit Célia.

Elle s'était finalement décidée à hacher ses pâtes en un quadrillage millimétré.

— Ses entraînements de quoi ?

La question fusa avant que Travis ne puisse la retenir. Il regretta aussitôt sa curiosité mal placée.

— Je sais pas. J'ai jamais compris en quoi ça consistait. Des entraînements dehors. Des trucs pour les gars quoi. Enfin bref !

Elle fourra une fourchette de pâtes dans sa bouche, le coude appuyé sur la table.

— En plus, je crois qu'il n'aurait pas assez de patience... ajouta-t-elle, la bouche pleine.

Elle releva soudain les yeux de son plat. Le silence s'éternisa tant que Travis intervint.

— Quoi ?

— Lui, il peut pas m'aider. Mais toi...

— On n'a pas d'heure de de perm en commun, marmonna-t-il en tentant de percer la composition du mystère de la sauce blanche

— Tu peux venir chez moi cet aprem et m'aider ? S'il te plait !

— Célia, je ne crois pas que ma mère...

— Je l'appelle moi-même si tu veux ! S'il te plait, t'es mon seul espoir. T'es un Littéraire !

La culpabilité d'utiliser sa mère comme argument de défense laissa la place à l'envie de rire.

Comme si le fait d'être en L avait eu un quelconque impact sur mon niveau d'anglais... 

Célia sembla se rappeler ce léger détail.