Le garçon dans le noir ( S&T) T.1

Chapitre 12

Une profonde inspiration. Peu déterminé à laisser s'échapper le sommeil, Travis ouvrit les yeux, la joue enfoncée dans l'oreiller, les bras calés dessous. Contre la fenêtre, le clapotis de la pluie l'appelait. Il avait oublié de fermer les volets. La lumière grise de ce dimanche nuageux avait envahi la chambre.

A ses côtés, Steeve était parfaitement réveillé. Il avait dû avoir trop chaud car il avait retiré sa chemise et repoussé l'épais duvet de la couette jusqu'à sa taille. Les bras croisés derrière la nuque, il fixait les poutres de bois blanc au-dessus de sa tête.

Travis l'observa une bonne minute durant, admirant son impassibilité. Steeve louvoyait dans ses pensées. Aucun sourire ne traversait son visage. Ce sérieux accentuait le côté sombre que Travis avait perçu la première fois que leurs regards s'étaient croisés. Ce même air confondu alors avec une certaine animosité. Il se demanda laquelle de ces deux facettes de Steeve l'emportait et se surprit à penser qu'il aurait aimé le faire sourire ; quand il souriait, une étincelle remuait dans ses yeux, invisible autrement.

Travis caressa ses bras du regard, remonta jusqu'aux mains perdues dans la masse des cheveux châtains. Il se rappela la façon dont ils s'étaient endormis, ne se souvenait en revanche pas s'être détaché de lui. Cette évocation lui arracha un battement de cœur un peu plus prononcé que les autres.

— Salut, prononça Steeve, sans même tourner la tête.

— B'jour...

Travis resserra son oreiller contre lui dans l'espoir d'y dissimuler la chaleur qui grimpait à ses joues. Il espérait n'avoir pas été pris en flagrant délit de contemplation.

Le torse de Steeve se soulevait lentement, comme s'il cherchait à atteindre les hauteurs auxquelles son regard s'accrochait. Un silence s'étira entre eux, aussi paresseux que le petit matin.

— T'avais raison hier, tu sais, finit par dire Steeve.

Tant qu'il ne tournait pas la tête vers lui, Travis effleurait les contours de son visage. Ses iris s'offraient ce que ses mains ne pouvaient frôler.

— À propos de quoi ?

Steeve avala lentement sa salive.

— Quand t'as dit que parfois j'avais l'air d'avoir peur du silence... C'est pas juste parfois.

Travis ne répondit pas tout de suite. Il cherchait les mots justes. Les yeux toujours rivés au plafond, Steeve se confiait.

— J'ai peur du silence. Tous les jours.

— Tu veux que je mette de la musique ? demanda Travis, redressé sur ses coudes.

Cette remarque bouscula les lèvres closes de Steeve en un sourire. La petite étincelle se réveillait dans le creux de ses pupilles. Il secoua la tête.

— Nan, ça va. En fait, j'te disais ça parce que... Là, ça va. Et je trouve ça étrange... T'entends ? Ici, le silence est pas pareil.

De nouveau couché sur le côté, Travis s'abreuvait de ses paroles. Ces mots le touchaient, plus que Steeve ne devait l'imaginer.

— Chez moi, je mets toujours quelque chose. La musique, la télé... la play, énuméra Steeve.

Ses yeux ne quittaient pas le plafond. Parler ainsi lui semblait plus simple.

— Comme ça, j'entends pas. J'entends pas le silence.

Travis ne comprenait que trop bien. Ce silence, il en avait lui-même souffert bien des années. Puis il s'était donné pour objectif de l'apprivoiser, le transformer en quelque chose de plus beau. Ainsi il s'était mis à écrire.