Chapitre 12 (suite)

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De : C'est-lia chiante
16/10. Aujourd'hui 15 : 16
T'es sérieux de te barrer tout le week end ?

"Hyper sérieux ouais."

De : C'est-lia chiante
16/10. Aujourd'hui 15 : 17
T'as pas vu papa depuis un bail.
Tu comptes l'éviter encore combien de temps ? Parce qu'à chaque fois que ça cause de toi c'est la merde ici

"Aussi longtemps que durera ma putain de vie"

Steeve s'apprêtait à ranger son téléphone quand il se ravisa. Il rouvrit la messagerie et sélectionna un autre destinataire.

"Tu fais quoi de ton week-end toi ?"

Sans attendre de réponse, il fourra le portable dans la poche avant de son pantalon, l'enfonçant avec tant de colère que Travis lui jeta un regard en coin, sans rien dire toutefois.

— Ma sœur me saoule, soupira Steeve.

— Tu veux en parler ?

Travis marchait, tête baissée. Sa question fit rire Steeve. Il côtoyait Pete depuis si longtemps qu'il en oubliait que les autres réagissaient différemment. Là où son meilleur ami aurait lancé un « qu'est-ce qu'elle a encore fait ? », Travis se contentait de patienter aux limites de son espace vital.

Toutefois, cela ne le surprenait en rien. Ce garçon possédait une réserve qui ne cadrait pas avec la plupart des adolescents de leur âge. La majorité d'entre eux ne manquait jamais de pousser Steeve dans ses retranchements – leur intérêt pour lui voguait et refluait telle une marée déchainée – tandis que Travis lui servait de bouée. Un point fixe, bien ancré, qui ne cherchait pas à s'imposer. Sa présence ne lui donnait pas l'irrépressible envie de fuir, de demeurer seul.

— T'es apaisant comme mec. C'est appréciable.

Steeve enfonça ses mains dans les poches de son gilet. L'après-midi s'allongeait, tendait ses bras frisquets autour d'eux.

La surprise effleura le visage de Travis.

— Merci, se décida-t-il à répondre, faute de trouver mieux.

Ils marchaient à une cadence lente, ce qu'ordinairement Steeve détestait. La plupart du temps, il n'avait qu'une envie : tracer sa route ; dépasser ceux qui n'avançaient pas assez vit à son goût, écarter ceux qui s'arrêtaient au milieu. Aller toujours plus loin.

— Elle me saoule avec mon père, reprit-il. Elle pense sûrement comme ma mère que, parce que c'est mon géniteur, j'me dois de le voir.

Le bout de sa basket tapa dans un mégot de cigarette trainant sur le bitume. Les gens le dégoutaient. Tout à coup, Steeve redressa la tête. Ses propres mots résonnaient comme une malédiction lancée.

— Putain, j'suis désolé. J'suis vraiment le pire connard du monde...

Parmi les nombreuses discussions de ce week-end, il en était une que Steeve avait abordée de manière abrupte, faute de savoir y faire : l'absence d'un père chez les Webbs. Il avait ainsi appris que Harrison Webbs était décédé d'un accident de travail. Loretta n'avait jamais cherché à se remarier, consacrant tout son temps à son fils unique.

— Mais non. Dis pas ça. C'est pas grave, lui assura Travis. On ne peut pas comparer les souffrances. Y'en a pas de pires que d'autres. On n'a pas vécu les mêmes situations, alors à chacun sa douleur.

Il trouva la force d'adresser à Steeve un sourire qui aviva un peu plus la culpabilité de ce dernier, puis haussa les épaules, les yeux rivés au sol. Les mains enfoncées dans les poches de son jean, il cherchait à se protéger du froid.

Le garçon dans le noir ( S&T) T.1Where stories live. Discover now