Chapitre 8 : Exception

6.8K 449 69
                                    

Il tira si fort que je faillis tomber en avant mais, cela n'eut pas l'air de le préoccuper car il se mit à marcher à grandes enjambées comme si nous avions le feu aux fesses. Au loin, Gabriel lui fit un signe de tête puis disparut dans la foule. J'eus un instant de panique, regrettant qu'il ne soit plus là alors qu'il semblait être le seul à savoir comment raisonner cet homme incontrôlable. Mais, cette pensée s'évapora bien vite et laissa place à l'incompréhension.

Mes jambes tentaient de suivre son rythme infernal, cependant, j'eus vite fait de comprendre que refréner Priam Hidden dans ses objectifs n'était qu'une perte de temps et d'énergie. Nous traversâmes un passage piéton, puis un deuxième où un taxi freina d'urgence en klaxonnant. En guise d'unique réponse, Priam gronda sans quitter des yeux l'horizon face à lui. Je n'arrivai pas à sortir un son d'entre mes lèvres. La peur cisaillait mes cordes vocales avec la même force que celle que lui usait autour de mon poignet. Je fermai les yeux, refoulant les picotements montant jusqu'à ma gorge.

— Q-Qu'est-ce que vous f-faîtes !

Je ne pouvais le voir que de profil mais cela suffit à me donner une idée de son état d'esprit. Ses traits étaient contractés, les mâchoires coupantes comme des rasoirs, les lèvres sanglantes plus fines que la pointe d'un couteau, les yeux marqués par la frénésie d'un homme combattant l'envie de chasse. Il ne dit rien, continua de marcher alors que j'ignorais complètement où nous étions et où nous allions.

Après ça, je n'osai plus reposer de questions. Sa colère me terrifiait tellement que je me demandais comment j'avais réussi à lui parler la première fois.

Pendant près de cinq minutes, nous marchâmes à une vitesse folle, dans ce silence désordonné et angoissant, au milieu de passants qui n'avaient même pas le temps de comprendre qui ils avaient en face d'eux. Priam eut l'air de se calmer peu à peu sans, toutefois, relâcher sa poigne autour de mon poignet tiraillé.

Il vira soudain à droite et nous émergeâmes de la foule dans une petite rue exiguë, coincée entre deux immeubles en pierres rouges comme l'aube. Le soleil descendait la pente des briques puis tout se fondait dans une épaisse noirceur de la hauteur des portes jusqu'au sol en béton. Le visage de Priam était à peine éclairé, acculé par des couches de haine invraisemblables qui noircissaient ses cernes et creusaient ses hautes pommettes. Il respirait fort sans montrer un signe de fatigue. Ce n'était pas ça qui l'avait affecté, non, mais mes suppositions me paraissaient trop tirées par les cheveux pour paraître réalistes.

— P-Pourquoi avons-nous... haletai-je, le souffle court. Pourquoi a-avez-vous f-fait ça ?

Il lâcha ma main et enfin, posa les yeux sur moi et son regard me fit déglutir.

Bestial.

Il était bestial. Sa colère transperça le voile de sérénité qui s'accrochait encore comme des remparts autour de mon cœur. D'une lenteur délicieusement calculée, il s'avança vers moi. Je pouvais sentir les battements de mon myocarde retentir à mes oreilles alors que la sueur coulait dans mon dos. Il avançait toujours quand je me sentis reculer jusqu'au mur, le dos frappant contre les briques. L'écho de l'impact crissa dans ma tête et me fit frémir. En relevant les yeux, son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien.

Je sentis sa main se poser au-dessus de ma tête et son souffle frôler mon front.

— Sais-tu seulement ce qui se serait passé si nous étions restés là-bas ?

Ses notes basses ressemblaient à celles d'un animal prêt à éructer des injures.

Son poing se referma et fit grésiller les grains de la pierre.

K.OOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz