54. Zéro

1.1K 203 64
                                    

— Tu... tu y vas.

Je me tourne vers Margaux en déposant le sac à mes pieds. Le sac contenant plus d'argent que j'en verrai jamais.

Ses yeux résignés parcourent mon visage, ma barbe taillée, mes cheveux en bataille, ma chemise blanche dont j'ai retroussé les manches sur mes avant-bras et mon jean foncé. Elle fait quelques petits pas dans ma direction de ses pieds nus et resserre son plaid autour de son corps. Les cheveux attachés sur sa nuque, les traits tirés, elle a l'air épuisée.
Lasse comme je suis las.

— Je n'ai pas vraiment le choix, lui dis-je à voix basse.

Lorsqu'elle secoue la tête, quelques mèches s'échappent de sa coiffure avant qu'elle ne les replace rapidement.

— On a toujours le choix.

Nos yeux s'entrechoquent et nous nous figeons tous les deux sans oser détourner le regard. Je vois sa peur, son inquiétude et sa déception face à mes choix. Elle voit ma résignation et mon stress ainsi que ma détermination. Mais aucun de nous deux ne l'adresse.
Il est trop tard pour ça.

Au lieu de parler, nous avons baisé comme des fous la veille. Parfois, c'est elle qui me réveillait. La plupart du temps, c'était moi. Nous noyions nos inquiétudes l'un dans l'autre. Nous nous en remettions à nos sens pour redonner un sens à tout ce qui n'en faisait plus.
Maintenant que nous sommes au moment critique, aucun de nous ne sait quoi faire.

Je ne sais pas quoi faire à part d'y aller et d'en finir.

Je ne veux pas qu'elle me déteste pour des choix que je suis obligé de faire.
C'est déjà le cas, même si elle ne le verbalise pas.

— Il faut que j'y aille, soufflé-je d'une voix rauque.

Elle pince les lèvres, détourne ses yeux larmoyants sans dire un mot.

Pour ne pas faiblir, je soulève le sac et sors de l'appartement sans un regard en arrière. C'est crispé que je prends l'ascenseur pour me rendre au sous-sol où se trouve le stationnement. Je jette l'argent sur la banquette arrière, embarque devant le volant, essuie mes mains moites sur mon pantalon et enfonce ma clé dans le contact.
Avec un sentiment désagréable au creux du ventre, je sors du parking et me laisse guider par mon GPS jusqu'au club Obsession.

Les rues que j'emprunte sont vides, seulement illuminées par les lampadaires et les quelques fenêtres sur mon chemin. Puisque je dois prendre l'autoroute, je prends la sortie la plus proche, et il ne me reste plus qu'à rouler à vitesse constante sur la voie de droite pendant dix minutes. J'augmente un peu la luminosité de mes phares pour mieux voir dans le nuit. Ma nervosité me fait serrer les doigts autour du volant jusqu'à ce que mes phalanges blanchissent.

Dès que je récupère Zoé et que Greyson est arrêté, je l'emmène chez mes parents et elle y restera jusqu'à nouvel ordre. Et je leur dirai tout pour que Zoé puisse faire face aux conséquences de ses actes. Ma mère et mon père sauront quoi faire. Je veux croire qu'ils sauront lui faire prendre conscience de combien elle s'est enfoncée.

Au point où je suis, je me fiche même de leurs remontrances lorsqu'ils sauront que je leur ai caché une chose aussi grave pendant aussi longtemps.
J'ai fait bien des choses de travers depuis le début, et, pour être honnête, ce n'est pas le pire.

Je bifurque sur la sortie que m'indique mon GPS en retenant ma respiration.

Je débarque aussitôt dans le stationnement d'un club énorme à la façade entièrement noire avec le nom de la place, « Obsession », écrit en lettres gothiques rouge sang. Il est bondé à cette heure. Des voitures blindées font leur chemin jusqu'au tapis rouge qui marque le chemin jusqu'à l'entrée. Des personnes encore plus extravagantes en sortent avec des tenues qui ne laissent rien à désirer. La musique résonne jusqu'à l'extérieur, me retourne horriblement les tripes à mesure que je cherche une place pour me garer au milieu de ce bordel.

Sue Me - T1Where stories live. Discover now