*14*

3 0 0
                                    

La trahison. Cette brûlure qui se répand dans mon corps. Je déteste cette sensation. Un feu énorme. Une blessure que je ne pensais plus connaître depuis quelque temps. La trahison peut être partout. Entre collègues. Entre amis. Mais aussi en famille. Un lieu où l'on est censé se sentir en sécurité. Où l'on est censé être soi même, écouter, protégé... Il semblerait que la famille King connaît très peu de fonctions de la famille. Ou bien ils les ont oubliés. Ou encore cela ne marche que pour certains. Il faudrait donc que je fasse mes preuves si je veux un jour profiter de l'aide de mes frères.

La trahison que je sens se transforme en interrogation. Pourquoi ne sont pas intervenus? Pourquoi ils me laissent tout le temps seule quand j'ai besoin d'eux? Ils ne voient donc pas que je souffre, que ça fait plusieurs années que je tente de ne pas couler. Je m'en suis sortie seule mais je n'y arrive plus. Je ne peux pas leur dire ce qu'il s'est passé ni même que j'ai failli mourir ni le reste. Je suis à bout de force. Déçu par l'attitude de mes frères, je me redresse, carre les épaules, dresse le menton, sèche mes larmes, jette mes cheveux en arrière comme ma mère et tourne les talons. Je monte dans ma chambre et ferme la porte derrière moi. Mon chiot lève sa tête et l'incline sur le côté. Je m'avance vers lui et lui caresse la tête.

- Tu ne me trahiras jamais toi, hein? lui dis-je.

Il saute sur mes genoux et je caresse son ventre. Il bouge dans tous les sens ce qui me fait rire. La porte s'ouvre alors sur Jace. Il la ferme derrière lui et s'y adosse. Il met les mains dans ses poches. Je lui fixe en attendant qu'il parle après tout c'est lui qui vient de s'introduire dans ma bulle. Cet espace que j'ai réussi à préserver neutre, voire même pur. Jace passe une main dans ses cheveux puis sur son visage, soupire et déglutit.

- Je suis désolé, souffla t-il.

Il est désolé? Des années qu'ils me laissent me débrouiller seule, détourne les yeux et à faire comme s'il ne se passait rien. Mon père a toujours tenu à m'humilier devant tout le monde. J'ai rêvé des années que l'un d'entre eux bouge son cul pour m'aider mais personne n'a rien fait. Pas même Spencer. Mon jumeau, ma moitié celui qui est sensé me comprendre mieux que m'importe qui sur cette putain de planète. Je me suis voilé la face pendant longtemps avant de réaliser qu'aucun d'entre eux ne prendrait le risque de s'attirer les foudres du grand James King. Mon père obtient toujours ce qu'il veut par tous les moyens possibles.

Je me lève de mon lit et pose le chiot sur le lit. Il me fait les yeux de merlan frit de le laisser. Je m'avance vers mon frère. Je le gifle. Une fois. Puis une autre. Il ne bouge même pas. Il me laisse faire. Je me retourne, avance puis me ravise et fais demi-tour. Je le frappe dans le ventre.

- Skylar, souffle-t-il.

Je m'énerve de plus belle et je gifle encore une fois sauf qu'il intercepte ma main. Il me tire vers lui. Il enroule ses bras autour de moi. Il caresse mes cheveux.

- Je suis vraiment désolé, me chuchote t il. Personne ne sait comment tenir tête à James King, Skylar... Je sais que j'aurai dû au moins essayer mais je...

Je ferme les yeux et je m'éloigne de lui. Je le fusille du regard et me tourne vers la fenêtre. Évidemment, il a toujours une excuse. Toujours quelque chose pour justifier sa lâcheté. Toujours à fuir. Ironique quand on sait que mon frère manie toutes les armes à la perfection.

- Sors de cette chambre, Jace, dit je.

Il s'apprête à parler à nouveau mais je le coupe en levant ma main.

- Dégages, insistais-je.

Il refuse toujours de sortir. Il s'avance vers moi. J'ai besoin de retrouver mon espace, de me retourner seule. Je me le fixe d'un air méchant et m'avance vers lui. Je pousse.

- Je t'ai dit de dégager de cette chambre, criais-je. J'ai besoin de respirer alors sors avant que je ne te fasse sortir de force!

Mon frère se résigne et baisse les épaules. Il soupire et sort à regrets de ma chambre. Je me laisse tomber sur le lit. Je passe une main dans mes cheveux, soupire et fais craquer mon cou. Je chope Héros et le porte jusqu'à la banquette et m'assoie avec lui. La petite boule de poil s'amuse avec le pompon d'un des cousins. Je souris légèrement et regarde par la fenêtre comme je le faisais avant. Je faisais ça quand j'avais envie d'oublier l'enfer que je vivais sous mon propre toit. Dans ma maison. Je le faisais aussi quand Spencer me laissait seule au lycée.

Je me rappelle notre premier jour de classe. Nous étions tellement soudés que rien ne semblait pouvoir nous séparer mais mon jumeau est rentré dans l'équipe de football. Il est très vite devenu populaire alors que moi, je préférais toujours l'ombre. Au départ, tout le monde était gentil avec moi. Ils pensaient que s'ils parvenaient à devenir ami avec moi ça les rapprocherait de Spencer mais il n'en avait rien à faire de moi. Quand les autres élèves s'en sont rendu compte, ils ont jugé que je n'avais pas à avoir de traitement de faveur au contraire. Ils ont fait de ma vie un enfer. Les moqueries étaient permanentes, les coups dans les couloirs très fréquents, mon casier rempli d'ordure est devenu presque normal. J'ai tenté plusieurs fois d'en parler avec les professeurs mais je me suis toujours dégonflé avant.

J'avais, et j'ai encore, honte de ne pas pouvoir me défendre seule. Je suis une King. Je ne devais pas me faire marcher dessus mais marcher sur les autres. J'aurais pu être la pétasse du lycée comme dans tous les films mais je n'ai jamais réussi à ouvrir ma bouche. Je tentais de demander de l'aide à Spencer mais il m'a dit que ce n'était pas son problème, que j'étais assez grande pour gérer mes affaires et que je devais arrêter de le coller comme si je risquais de m'effondrer sans son aide. Il avait un de ses culots. Je voulais juste retrouver mon jumeau. Celui avec qui je partageais tout au collège mais il m'a sortie de sa vie et depuis j'ai décidé de ne plus lui adresser la parole.

J'ai rencontré Harley à cette période. On est vite devenues amies. Elle n'en avait rien à faire de Spencer malgré le fait qu'il soit beau gosse et populaire. Nous sommes devenues inséparables. J'ai passé le plus de temps avec elle et les violences se sont calmées sans pour autant s'arrêter. A cette époque, je croyais que ma première année de lycée était la pire. Je me suis trompée. La deuxième était à peu près normale mais la dernière a été un véritable enfer. Il était tout le temps. Spencer l'a fait emménager chez nous parce que ses parents étaient à l'étranger. Mon jumeau a fait rentrer un monstre chez nous sans même le savoir.

Et je lui en veux doublement pour ça.

Faux airWhere stories live. Discover now