Chapitre 4

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— F L A S H B A C K —


Quelque part entre les rayons de Charles Dickens et Léon Tolstoï, Angélique jouait aux équilibristes sur une vieille échelle en bois. Comme tous les mardis, depuis plusieurs semaines maintenant, elle rangeait, sur leurs étagères, chacune des œuvres extirpées de leur sommeil séculaire par quelques visiteurs curieux. Elle passait des heures à promener inlassablement son petit chariot à travers les majestueuses rangées du temple des mots. Dans le pieux silence qui veillait à la quiétude des plus beaux textes jamais écrits, Angie jouait tantôt au funambule, tantôt au détective, jusqu'à ce que le dernier livre empilé devant elle ait retrouvé son cocon habituel.

Mais en cet après-midi nuageuse, et malgré son assiduité coutumière, ses propres envies dictaient ses gestes d'acrobate.

— Viens par là, toi...

Ses doigts effleurèrent la tranche d'un épais volume à la couverture usée. Un précieux recueil de lettres d'amour qu'Angélique avait prévu de dévorer dans la nuit. Happée par sa trop grande convoitise, elle se hissa sur la pointe des pieds et se pencha un peu plus dans le vide. L'échelle vacilla sous son poids. Angélique pinça les lèvres. Son ongle raclait la bordure du livre, elle y était presque. Presque... !

Soudain, deux mains vinrent se plaquer sur ses hanches et la ramenèrent aussitôt vers l'échelle. Prise au dépourvu, la jeune femme laissa échapper un petit cri de surprise qui éclata la bulle de sérénité qui régnait jusqu'alors en ces lieux. Bien entendu, cela ne manqua pas d'alerter les lecteurs assidus assis autour de tables d'études à proximité qui, dans l'instant, levèrent le nez de leurs ouvrages pour braquer leurs regards emplis d'amertume sur Angie. Cette dernière, toujours en proie à de violentes bouffées d'angoisse, chercha à tout prix à retrouver son équilibre et tenta de s'agripper aux barreaux de bois, en vain. Elle bascula en arrière et plongea dans des bras inconnus, qui ne le restèrent pas vraiment longtemps.

— Bonjour.

— Ayden, bon sang ! Mais ça va pas ?

Angie se dégagea de son emprise et jeta un bref regard aux autres visiteurs. Leurs yeux interrogateurs se muèrent alors en de véritables mitraillettes qui fusillèrent la jeune femme et son ami. Eux qui osaient continuer de déranger le sacro-saint silence que leur hypothétique frénésie intellectuelle requérait...

Face à une Angélique à présent furibonde, Ayden fit un pas en arrière, et plaça les mains en évidence, comme pour tenter d'esquiver l'orage qui allait, semblait-il, bientôt le frapper de plein fouet. Il rétorqua à mi-voix, avec l'insolente nonchalance que sa jeunesse lui conférait :

— Oh, ça va... J'ai rien fait de mal, je t'ai même sauvé la vie.

La jeune fille roula des yeux et chuchota :

— N'importe quoi.

— Mais bien sûr que si ! Sans moi, tu serais tombée de cette échelle, directement dans cette pile de livres et tu aurais fait une indigestion de...

Il s'empara d'un des volumes sur le chariot à leur côté et grimaça :

— ...Roméo et Juliette ? C'est pire que ce que je pensais.

— Donne-moi ça.

Angie extirpa le précieux ouvrage des mains du garçon et le replaça sur l'étagère qui lui était dédiée. Entre temps, il adressa un sourire radieux aux vieux hirsutes, toujours enragés par le raffut que les gens de son espèce pouvaient provoquer.

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Where stories live. Discover now