Chapitre 8 - Partie II

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— F L A S H B A C K —


À mesure que la fin du deuxième acte de West Side Story se déroulait devant ses yeux, Angélique réalisa que le whisky qu'elle avait ingurgité prenait lentement possession de chaque parcelle de son corps. Le feu qui martyrisait sa gorge semblait s'accroître à l'infini et les frissons qui parcouraient ses bras s'étendaient maintenant jusqu'à sa nuque et son dos. Mais l'ivresse de la beauté du spectacle et de cette eau cuivrée avait aussi réussi à propulser la jeune femme dans un univers dépourvu de doutes, de peur ou de tristesse.

En cet instant, Angie était ivre de vie. Ivre de joie et d'excitation, comme jamais elle ne l'avait été auparavant. Cependant, le whisky ne tarda pas à lui rappeler la rançon qu'elle devait lui payer pour sa désinhibition. Emportée dans un tourbillon d'émotions positives, elle tourna brusquement la tête vers Ayden. Et bien entendu, le mobilier, le décor et tout le reste en profitèrent pour se mettre à danser furieusement devant ses yeux ahuris...

— Ayd... Oh.

Légèrement étourdie, elle plaça une paume sur son front et tenta de focaliser à nouveau son attention sur son ami. À travers la brume alcoolisée qui voilait ses iris clairs, ce dernier lui apparut plus ou moins distinctement, en train de mordre une de ses mains pour se retenir de rire.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

Il releva la tête ; ses prunelles, au moins aussi brillantes que celles d'Angie, se détachaient parfaitement de l'obscurité ambiante. D'un geste de la tête, il désigna la scène :

— C'est toujours le mec qui se retrouve dans les situations les plus cons, dans ce genre d'histoire.

— Comment ça ?

— Ben, regarde ! Qui est malmené depuis plus de deux heures ? Qui passe pour un débile parce qu'il est amoureux ? Et qui va quand même claquer par amour alors que sa copine est pas morte du tout ? Gugus. Toujours, Gugus !

— Tony, tu veux dire.

— Gugus.

Perplexe, Angélique demeura un instant immobile, puis se retourna calmement vers le spectacle, résolue à apprécier toute l'émotion qui se dégageait de cette ultime scène. Mais c'était sans compter le whisky, qui en avait décidé tout autrement...

Un puissant fou rire, sonore et en parfaite contradiction avec la mort de Tony, envoya valser la tristesse et le désespoir que les acteurs s'évertuaient à interpréter sous ses yeux. Entraîné par cet éclat de joie aussi impromptu que communicatif, Ayden ne put lutter plus longtemps contre son propre rire, qui finit par retentir aux côtés de celui d'Angélique.

Sous les projecteurs, quelques comédiens échangèrent quelques œillades curieuses, ce qui, bien sûr, ne manqua pas d'amplifier le concert de gloussements qui s'échappait d'un des balcons. Une armée de regards furibonds en provenance de l'assistance convergèrent vers les deux amis, à grand renfort de « chut » plus ou moins audibles et agressifs.

Terrassée par sa bienséance, elle-même atterrée par cette attitude inédite, Angie sentit son visage virer au rouge vif. Et cette fois-ci, le whisky n'y était pas pour grand-chose. Alors sans jamais cesser de rire, elle quitta précipitamment son fauteuil, en prenant soin d'emporter son petit sac à main et sa flasque avec elle, puis s'enfuit du balcon, suivie de près par un Ayden hilare.

Dans le couloir du théâtre, Angélique prit une profonde inspiration, tout en essuyant une larme naissante au coin de sa paupière. Ayden ne tarda pas à débouler à ses côtés, en riant aux éclats. Lorsque les deux eurent enfin retrouvé leur souffle et leur sérieux, ils échangèrent un regard complice puis trinquèrent une dernière fois avant d'engloutir le fond de leur flasque, sans jamais cesser de glousser :

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz