Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)

Chapitre 11

6 avril 2005

Cette nuit-là, malgré le voile lumineux qui coiffait la cime des buildings, les étoiles scintillaient dans le ciel obscur de la ville, comme des milliers de petites lucioles agrippées à une toile de satin noir.

Allongé sur le sol d'une impasse du nord de Brooklyn, Shane contemplait le spectacle de l'univers, l'estomac repu d'un sandwich volé un peu plus tôt dans la journée. Il prit une profonde inspiration et, comme hypnotisé par l'infinité du néant, il se surprit à rêver au futur qui avait été écrit dans ce même ciel étoilé, la nuit de sa naissance.

Que se serait-il passé si, quelques mois plus tôt, il avait accepté la sentence de la maison de redressement ? Ou si Marguerite était encore à ses côtés ? Cela aurait-il changé quelque chose à sa vie ?

Et si sa mère était toujours de ce monde ? Étaient-ce vraiment ses choix personnels, mêlés à ceux de son entourage qui avaient décidé de son sort ? Ou plutôt une étrange fatalité divine, dont les étoiles prétentieuses s'amusaient chaque jour un peu plus ?

Les yeux perdus dans le vague, Shane songea à tous les projets qui lui semblaient à présent compromis. Il se rendit compte bien vite qu'avec des si, il pourrait rebâtir sa vie. Dans une autre réalité, peut-être aurait-il fait des études, pour devenir l'un de ces joyeux pantins qui gravissent tous les jours les tours d'acier, pour en redescendre à la nuit tombée, plus cassé qu'un vulgaire jouet de bois. Shane secoua la tête à cette idée.

Non... Si le destin l'avait voulu, il aurait vécu avec passion. Il aurait profité de chaque instant que la vie avait à lui offrir et il aurait tout fait pour connaître le bonheur d'être entouré d'une famille aimante. Mais une fois de plus, tout ceci n'était que chimère, et en cette calme nuit de printemps, Shane était sur le point de s'engager sur le chemin sans retour que les astres avaient choisi pour lui.

Des bruits de pas claudicants, mais pressés résonnèrent à l'orée de l'impasse et ramenèrent aussitôt l'adolescent dans sa ténébreuse réalité. À moitié endormi par ses songes utopiques, Shane cligna des yeux et se redressa, interloqué. Les pas se rapprochaient de plus en plus vite, rythmant une respiration déjà saccadée par des gémissements plaintifs. Instinctivement, le garçon avança à quatre pattes en direction de l'angle que formait une benne à ordure avec le mur rugueux. Ainsi dissimulé dans l'ombre, il était presque devenu invisible.

Peu de temps après, un homme passa juste devant lui sans même s'apercevoir de sa présence. Celui-ci boitait, une main posée sur sa cuisse blessée d'où s'écoulait une fulgurante quantité de sang. Ses vagissements de terreur se mêlaient à son sanglot de souffrance. Soudain, ses pieds mal assurés raclèrent le caniveau et le malheureux s'écroula lourdement sur le bitume.

Suivant l'intuition qu'il avait développée au cours de ces derniers mois, Shane remonta ses genoux contre sa poitrine et rabattit son manteau sur lui, de manière à se fondre un peu plus dans la pénombre. L'homme au sol poussa un grognement et s'empressa de ramper sur le bitume en gémissant de plus belle. Ses yeux embués de larmes jetaient de furtifs regards en arrière, comme s'il guettait l'arrivée prochaine de l'ombre de la mort.

Le cœur de Shane s'emballait à mesure que les secondes s'égrenaient. Quoi que cet homme eût voulu fuir, il s'était d'ores et déjà condamné en s'engouffrant dans cette voie sans aucune issue. Et cette sentence ne fit que se confirmer lorsque de nouveaux bruits de pas se rapprochèrent à leur tour de la scène. Le garçon devina, au son que produisaient les chaussures le sol, que deux personnes étaient en train d'avancer. La première démarche était gracile et légère, a contrario de la deuxième, beaucoup plus nonchalante.