Chapitre 11

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14 février 1998


Droite, figée dans son masque de jeunesse éternelle, elle lui souriait imperceptiblement. Ses longs cheveux dorés, maintenus par un ruban autour de son front, illuminaient les contours de son visage rondelet et Shane ne parvenait pas à détacher son regard de ses grands yeux bleus d'azur. Bien que son expression semblait assez inquiétante, le garçon eut comme une révélation. C'est là, devant cette reproduction d'Ophélie de Pierre Auguste Cot, qu'il décida que la femme de sa vie serait blonde et dotée, elle aussi, de deux grands yeux bleus.

Satisfait de son choix, il resta encore quelques minutes debout face à la peinture, plongé dans l'étrange regard de la jeune fille, jusqu'à ce que sa mère apparût derrière lui.

— Tu viens ? On ne va pas tarder à y aller.

Shane acquiesça d'un signe de la tête et entreprit de la suivre jusqu'au salon du petit appartement cossu de East Village, dans lequel ils se trouvaient.

Depuis plusieurs mois maintenant, Angélique fréquentait Georges Kenway, un entrepreneur irlandais venu à New York pour réaliser son rêve américain. Il dirigeait aujourd'hui d'une jeune entreprise, spécialisée dans la vente de reproduction de peinture. C'est au Guggenheim qu'il avait rencontré la mère du garçon, de dix ans sa cadette, alors qu'il cherchait de nouvelles toiles à copier grossièrement sur des presses chinoises à bas prix.

Au cours des premiers mois, les deux amants avaient dissimulé leur relation aux yeux de leurs proches respectifs, jusqu'au jour où, sous l'impulsion de Georges, Angie se résolut à présenter cet homme à son fils. L'entrepreneur avait aussitôt proposé de prendre en charge ses frais de scolarité, afin de lui assurer le meilleur avenir possible, ce qui avait contribué à séduire un peu plus la jeune femme. C'était il y a trois mois de cela et depuis, il était fréquent que le garçon et sa mère passassent plusieurs après-midi chez Georges, au sud de Manhattan, au grand dam de Shane qui, la plupart du temps, s'y ennuyait ferme.

La seule chose dont il pouvait se réjouir lorsqu'il était ici, c'était de pouvoir contempler bon nombre de reproductions plus ou moins réussies qui ornaient chaque mur de ce petit appartement, sans harmonie aucune. Malgré cette légère déconvenue, cela l'aidait à lutter contre les interminables minutes qui ne semblaient pas vouloir s'écouler lorsqu'il était prisonnier de ce cube de béton et d'acier.

Quand Angélique et lui pénétrèrent dans le salon, Georges se tenait là, devant un miroir accroché au-dessus d'une console en bois ancien. Il ajustait sa cravate avec tant de dextérité que Shane resta un moment perplexe. Il n'avait jamais bien compris l'intérêt de s'accrocher une laisse autour du cou pour sortir, encore moins quand il s'agissait d'emmener sa mère dîner au restaurant pour la Saint Valentin.

— Ah, le voilà. Où est-ce qu'il se cachait, encore ?

Angélique posa une main rassurante sur l'épaule de son fils, puis le quitta pour aller chercher son sac dans la pièce voisine.

— Il regardait une peinture.

Georges se tourna vivement vers eux et toisa Shane, le sourcil arqué. Ses traits étaient marqués par les assauts du temps, qu'une fine barbe poivre et sel tentait de dissimuler. Ses cheveux courts, bruns et clairsemés de filaments d'argent, scintillaient sous la lueur du crépuscule. La dégaine virile et assurée que lui donnait son semblant de pouvoir et de réussite s'accordait à la perfection avec l'éclat de son sourire carnassier.

— Tu t'intéresses à la peinture, toi ?

Le garçon acquiesça d'un lent signe de la tête, sans dire un mot. Georges émit un étrange ricanement, tout en ajustant les manches de sa veste avec celles de sa chemise.

Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)Where stories live. Discover now