Gueule d'ange [PREQUEL DVOS] (TERMINÉ)

Chapitre 9

8 mars 2005

Le vent, la pluie, le froid.

Tels étaient les trois compagnons de Shane depuis plusieurs mois maintenant. Recroquevillé sur le trottoir d'une petite ruelle du sud de Manhattan, le garçon semblait hypnotisé par les gouttelettes d'eau qui s'écrasaient dans le caniveau, devant lui.

Le manteau, dont lui avait fait don la vieille dame à Noël, lui avait tenu chaud tout l'hiver, mais n'était malheureusement pas d'un grand secours face au printemps et ses averses récurrentes. Ce jour-là, il était presque entièrement imbibé d'humidité et pesait très lourd sur les frêles épaules de l'adolescent déjà affaibli par la faim. Et même si Shane parvenait à se préserver du plus gros de la pluie grâce au parapluie verdâtre qu'il avait toujours en sa possession, il ne pouvait s'empêcher de penser à la morsure du froid sur la chair tendre de son ventre.

En ce début d'après-midi, le soleil avait du mal à percer les épais nuages noirs qui bouchaient le ciel de New York, privant l'adolescent de sa chaleur habituelle. Ce dernier éternua et frissonna. Depuis quelques jours et comme pour parfaire ses malheurs, un virus avait réussi à prendre possession de lui et se délectait de l'amenuisement de ses forces, tout en le gratifiant d'une forte fièvre quasi ininterrompue. La veille, alors qu'il était à bout de force, Shane était parvenu à se procurer des médicaments ainsi qu'un thé brûlant grâce aux vingt dollars qu'il lui restait de sa bienfaitrice. Néanmoins, il aurait donné n'importe quoi pour un bon repas chaud et un lit douillet qui ne pouvaient que l'aider à se remettre sur pieds au plus vite.

Shane releva à peine les yeux quand un groupe d'adolescents d'à peu près son âge traversa la venelle en riant. Bien entendu, ils ne manquèrent pas de porter sur lui des regards chargés de dédain auxquels il s'était déjà parfaitement habitué. Les cinq garçons étaient bien vêtus, propres sur eux, vraisemblablement issus de familles aisées au vu des marques qu'ils arboraient fièrement. Shane les suivit discrètement des yeux, jusqu'à ce qu'ils disparussent à l'angle que le passage formait avec l'avenue la plus proche.

Il renifla une nouvelle fois, attendant que la pluie s'arrêtât enfin. Une large trace noire balafrait son visage de son arcade sourcilière droite au coin gauche de ses lèvres et faisait ainsi ressortir ses deux émeraudes. Ses longs cheveux, qui lui avaient permis de conserver un peu de chaleur cet hiver, ruisselaient de gouttes épaisses et collaient à sa nuque et à ses joues. Mais cette sensation déjà des plus désagréables n'était rien, comparée à la faim qui lui tordait à nouveau le ventre depuis plusieurs jours maintenant.

Le médaillon de sa mère dans une main, Shane s'amusa à faire tourner la petite chaîne dans ses doigts gelés. À présent, il ne lui restait plus que dix dollars en poche et le garçon souhaitait les dépenser de la manière la plus judicieuse possible. Il réfléchit alors longuement à ce qu'il pourrait s'offrir, rêvant avec enthousiasme d'un plat chaud, composé de viande et de pommes de terre juteuses. Néanmoins, il savait qu'il valait mieux se contenter d'un simple petit pain pour économiser ses maigres fonds... Son ventre répondit aussitôt à cette idée par un puissant grognement et le garçon décida alors de se mettre en route, résigné. En outre, il n'avait pas les moyens de s'offrir autre chose que ce qu'une boulangerie avait à proposer.

Calfeutré dans l'épais manteau noir, bien abrité sous le parapluie, Shane avança le long de la ruelle, jusqu'à regagner l'avenue. Il marchait d'un pas lent, tout en salivant en imaginant le petit pain chaud qu'il aurait bientôt sous la dent et pendant une courte seconde, cette pensée, bien que spartiate, lui réchauffa vaguement le cœur.

Soudain, l'ombre de deux silhouettes obstrua la voie étroite. L'adolescent se stoppa net. Face à lui, deux des garçons qu'il venait d'apercevoir lui barraient maintenant la route. Shane hésita quelques instants et décida alors de tourner les talons. Sa condition physique ne lui permettait en rien de se défendre et même s'il avait pu, il n'avait aucune envie d'entrer en conflit avec qui que ce fût.