"Dumb Bitch" 🔚 Seungbin

Chapitre 2

2.

Une semaine plus tôt, vendredi soir.

Station essence de Cheonggye, Seoul,

23 :55,

Ce qu'il y a de mieux avec les stations essence, c'est que beaucoup d'entre elles sont ouvertes 24h/24.

Ce qui est aussi le plus grand cauchemar de ceux qui doivent les prendre en charge. Encore plus quand on est juste étudiant.

Changbin pique sévèrement du nez, dans son uniforme un peu froissé. Assis sur un tabouret à la caisse, le visage dans ses mains et les coudes sur le comptoir, il a du mal à garder les yeux ouverts. La semaine est terminée et a déjà manqué de peu de l'achever. Heureusement, Miyeon est en route pour prendre la relève dans cinq minutes. Ce qui l'embête un peu, c'est que son patron compte lui aussi passer pour récupérer quelques cartons dans ces eaux-là. Il n'a pas spécialement envie d'avoir affaire à lui, alors il espère que sa collègue pointera le bout de son nez en première et qu'il pourra déguerpir.

Il a ce travail depuis quelques mois, qui l'aide à payer son studio miteux et ses études. Pour l'instant, il ne peut pas en vivre pleinement, surtout que son statut d'étudiant fait qu'il a un quota d'heures qu'il ne doit pas dépasser, sauf s'il avait demandé une dérogation à l'administration de la fac. Et quand il a appris que cette dérogation lui aurait retiré sa bourse, il a préféré serrer les dents et continuer à jongler entre ces deux trains de vie.

Le carillon tinte, Changbin sort de sa somnolence en un sursaut.

— Ah ! Miyeon t'es arr-

Mais il s'interrompt en apercevant la silhouette entrer, telle une ombre sans visage.

Ce n'est pas sa collègue, mais un client sorti de nulle part. Changbin soupire, avant de secouer la tête pour se donner une meilleure mine. Le client est roi Changbin. Le client est roi, même s'il a une dégaine de psychopathe.

— Bienvenue, monsieur.

Changbin sourit.

L'individu se fige, sans pour autant lever la tête. Il porte un sweat a capuche d'un rouge délavé, pas flashy du tout mais étrange.

— Appelez-moi si vous avez besoin d'aide.

Changbin voit juste la personne acquiescer, du moins il le devine quand elle tourne les talons pour s'engouffrer dans les rayons.

Changbin n'y prête pas plus attention. Il sort son portable et commence à pianoter dessus. Il n'a pas envie de déranger l'un de ses amis, mais il avoue commencer à vraiment beaucoup s'ennuyer. Il a déjà fait l'avancement de tous les produits, et il n'y a pas encore eu assez d'achats pour en ramener de la réserve.

Jisung passe la soirée à jouer aux jeux vidéos avec Hanbyun et Jungmo. Qu'est-ce qu'il les envie sur le moment, il aurait clairement préféré les rejoindre au lieu de se trouver ici encore une fois.

Le noiraud lève les yeux, il peut voir le haut de la capuche s'agiter d'un endroit à l'autre, le reste du corps camouflé par les étagères. Changbin soupire silencieusement, voilà ce qu'il se coltine à la place : des gens chelous.

Il finit par froncer les sourcils et descendre de son siège.

— Je peux vous aider peut-être ?

La personne ralentit, avant de secouer la tête.

— Non, c'est bon...

— Pardon ?

La personne a une voix faible, sûrement trop douce, ou juste le genre qui ne veut pas se faire entendre. Alors, Changbin a du mal à la comprendre et se rapproche d'elle. Sentant sa présence, l'individu devient de plus en plus suspect quand il tourne dans une autre aile. Changbin secoue la tête en le suivant. Ce n'est pas dans un magasin qu'il connaît par coeur qu'on pourra le semer.

— Mon gars, ce genre d'esquive ça marche quand tu croises ton prof au supermarché, pas un employé.

Il l'entend souffler une injure, et Changbin en profite pour accélérer le pas. Il saisit la manche du garçon -il suppose juste que c'en est un, la voix était douce mais un peu grave-.

— Lâche-moi ! s'écrit-il soudainement.

Il tire alors sur son bras, prenant le noiraud de court par une telle réaction. Changbin fronce les sourcils de plus belle, quand dans le mouvement, le garçon sort trop vivement ses mains de ses poches, laissant tomber au sol plusieurs articles qu'il a chipé sur son passage. Il y a des paquets de gâteaux, des bonbons et des barres de chocolat.

— Ha ! Je le savais ! tonne Changbin.

Le garçon à la capuche pousse une autre série de jurons et tourne les talons en vitesse, s'élançant à la sortie. Changbin lève brutalement la tête.

— Mais merde attends ! Je suis pas formé pour les courses poursuites !

Il le talonne comme il peut, connaissant l'endroit comme sa poche, et parvient à le saisir au col. C'était sûrement un peu trop brusque. La personne glapit quand Changbin arrive à se placer face à lui pour le maitriser. Il s'agite, comme une bête furieuse.

— Putain ! Putain lâche-moi enculé !

— Ah ouais, grogne l'employé, t'as pas ta langue dans ta poche toi...

Les mains de Changbin remontent vers le haut de son crâne, saisissant le tissu.

Un hoquet terrifié resonne alors, quand il parvient à abaisser la capuche du voleur. Des yeux écarquillés croisent ceux de l'étudiant, un faciès aux traits fins et harmonieux, des cheveux châtains, de longs cils et un petit grain de beauté au bas de la joue gauche. Il a l'air jeune, sûrement du même âge que lui. Peut-être un peu moins.

Changbin aura beaucoup de mal à avouer que pendant deux bonnes secondes, il a été déstabilisé par le visage qui lui a fait face.

— Tu es-

Foutu, aurait-il voulu fièrement lui dire. Mais il est question de Seo Changbin, il n'y a qu'avec un peu de poisse que sa vie bouge enfin.

Et l'air presque innocent du voleur n'a absolument rien à voir avec le caractère qu'il se trimballe, puisque ce dernier baisse le menton et plante violemment ses dents dans la main du noiraud.

Changbin hurle en le lâchant, et dans la foulée plusieurs pots de miel hors de prix se brisent contre le carrelage. Le bruit aurait réveillé un mort.

Les sourcils froncés, le fugitif se retourne une dernière fois quand il passe devant la caisse. Ses prunelles café se plantent dans les siennes, qui sont médusées.

— Dumb bitch ! lui crie-t-il en lui présentant son majeur.

Et la porte vitrée claque quand il s'enfuit.