-Bipolaire Insensible-

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Je me fait encore bousculé dans l'allée des légumes. Je soupire bruyamment. Venir faire les courses est pour moi un supplice. Mais j'y suis presque obligé. Alors que je me penche pour ramasser une orange, j'aperçois une paire de Vans, usée. Un des pieds tient un skate pour le tenir debout. Je me redresse mais garde la tête baissée. Puis, lentement, je lève les yeux. Je sursaute lorsque je reconnait à qui appartient ces chaussures. Adil se tient devant moi, la mine sombre sous sa capuche, fixé sur un étalage de pommes vertes. Il ne me voit pas, mais je l'observe minutieusement. Ses mains tremblantes sont bandées, de la paume jusqu'au poignet, à tel point que je me demande comment il fait pour les bouger. Son visage, quoique à moitié caché par sa capuche, est blême et je devine des cernes sous ses yeux. Je le suis encore des yeux lorsqu'il attrape une pomme pour la fourrer dans un sac plastique. Puis lorsqu'il se met à partir, je décide de le suivre. Tant pis pour les courses, j'ai déjà ce qu'il faut. Il s'avance derrière une petite file d'attente devant une caisse. Il glisse ses mains dans ses poches, le dos pourtant très droit. Je me poste derrière lui et attend. Arrivé devant la caissière, celle-ci lui demande d'enlever sa capuche. Sans un mot, il se défait d'elle, révélant son visage. La caissière sursaute mais ne dit rien. Je n'est pas le temps de bien le voir que déjà, c'est à mon tour. Je ne le quitte pas du regard tandis que la caissière passe mes articles. J'ai juste le temps de le voir tourner à gauche. J'attrape précipitamment mon sac et marche rapidement dans ses pas. Sa démarche est rapide mais raide. Son skate est coincé sous son bras, qui semble disparaître dans sa poche. Nous arrivons devant une grande place et je choisi ce moment pour me montrer. Je le prend par l'épaule pour l'obliger à se retourner. Ses yeux, entourés de cernes moins grandes que je l'imaginais, me fixent d'un regard vide. 

- J'ai quelque chose à te dire, je lâche après un moment de silence.

Il se tient devant moi et baisse la tête. Il semble réellement épuisé. Et perdu. Surtout perdu, en fait. 

- Va y, dit-il d'une voix enrouée. Dis ce que t'as à dire...Léo, ajoute-t-il avec un sourire bizarre.

Je me racle la gorge doucement. Cette situation me paraît désormais incompréhensible. Est ce que ça en vaut vraiment la peine ?

- Si tu fais quoique ce soit à ma sœur, je le menace durement, tu aura affaire à moi. J'aurais bien envie de t'éliminer, mais je vais juste t'empêcher de vivre. 

Il relève la tête et je vois ses yeux se remplir de larmes. Son visage reprend quelques couleurs et ses lèvres tremblent. Il s'approche de moi en clignant rapidement des yeux. Je suis tenté de reculer mais je suis presque figé par sa réaction. Va-t-il se mettre à pleurer ? Je me remémore soudain les paroles d'Anna : lui aussi il est sensible, comme toi. Je déglutis.

- Je ne lui ferais aucun mal, murmure-t-il à quelques centimètres de moi. Je préfèrerais me tuer que de lui faire du mal. 

Puis il recule et reprend son skate sans me prêter attention. Je déglutis encore une fois. Il a vraiment l'air d'aller mal. Je lui reprend le bras. 

- Attend, je...

Il ne se tourne pas vers moi mais arrête son geste. Je retire ma main de son bras et me racle la gorge. C'est plus difficile que je ne le pensais...

- Je ne veux pas que tu te sentes mal...tout est de ma faute. C'est moi qui lui ai raconté tout ce qu'elle t'a dit. Je m'en veux maintenant, je sais que t'es un mec super. J'suis désolé.

Cette fois-ci, il ne détourne pas les yeux et me regarde en face. Lentement, un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Mes épaules se relâchent. Un couple passe entre nous, faisant durer le suspens. J'en profite pour me passer les mains dans les cheveux. Puis je relève les yeux vers Adil, toujours un peu blême.

- Dis lui que je passerais la voir, fait-il d'une voix plus claire. Je veux la voir une dernière fois. 

Je hoche la tête, puis fronce les sourcils. Ai-je bien entendu ?

- Une dernière fois ? Je bafouille, un peu confus.

Il hoche la tête encore une fois, encore plus blême qu'il y a quelques secondes. Je crois apercevoir quelques tics sur son visage, au niveau de ses yeux. Puis il détourne les yeux et repose son skate par terre. Il pose un pied sur la planche puis s'élance. 

- Une dernière fois avant quoi ?! Je lui demande en haussant la voix. Adil !

Il préfère s'en aller, sans se retourner. Mon rythme cardiaque s'est accéléré en l'espace de quelques secondes. Je me rappelle ce qu'Anna m'avait dit un jour plus tôt. A cause de moi, il va surement se remettre dans sa bulle. Il va surement retomber dans la depression. Et il peut...Il peut avoir des pensées suicidaires. Il me faut pas plus de deux secondes pour que je commence à paniquer réellement. Mes yeux cherchent désespérément Adil dans la foule. Mais, il y a trop de gens et il s'est éclipsé bien trop vite pour que je le suive des yeux. Je tourne sur moi-même, bousculant plusieurs personnes. En vain. Je passe les mains sur mon visage, complètement perdu. 

Mais qu'est ce que j'ai fait ?!

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