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Il est presque minuit. Mon cerveau est déjà en mode ralenti. Je me cramponne encore à son t-shirt, pour éviter de nous faire tomber. Il garde la tête baissée, son bonnet enfoncé sur la tête. Je sais qu'il a encore plus mal qu'il n'y paraît. Il me fait penser à mes frères, et cette pensée me pince un peu plus le cœur . Noémie me jette un coup d'oeil ; elle est épuisée elle aussi, les joues toujours rouges. Il reste encore quelques petites marches. Chaque pas semble lui faire souffrir encore plus. Si je n'étais pas aussi fatiguée, je l'aurais porté sur mon dos sans problème.

- Encore deux marche Adil, l'encourage Noémie.

Il souffle et lorsque nous arrivons enfin sur le palier, il me presse l'épaule. Puis il se détache doucement de nous et s'avance en vacillant. Je reste derrière lui, la main toujours posée sur son t-shirt. Il s'appuie sur le mur et nous regarde, la mine malade mais les yeux grands ouverts.

- Merci beaucoup, murmure-t-il.

Puis il sonne. On entend un vacarme. Noémie me jette encore un coup d'oeil. J'hausse les épaules en signe d'incompréhension. Puis, enfin, la porte s'ouvre. Une femme est à la porte, ses cheveux relevés bizarrement sur sa tête. Elle nous observe affolée. Quand elle aperçoit Adil, elle pousse un petit cri aigu. Il se tient le ventre et la regarde presque avec admiration.

- Maman, gémit-il.

Sa mère reste un moment à le regarder puis passe un bras autour de sa taille rapidement et l'entraîne avec elle à l'interieur. Noémie a encore son pull dans la main et s'agite à côté de moi. Après quelques instants, elle réapparait. Ma meilleure amie lui tend le pull avec un petit sourire.

- C'est vous qui l'avez ramené ? Lâche-t-elle enfin. Vous l'avez amené jusqu'ici ?

- Oui, madame. Répond poliment Noémie.

Les larmes aux yeux, elle nous regarde en souriant.

- Merci, merci beaucoup, les filles, murmure-t-elle. Est ce que je peux savoir vos noms ?

- Moi c'est Anna, et voici mon amie Noémie.

Elle nous regarde tour à tour et me fixe longuement. Je reste calme mais mon coeur s'affole. Me connait-elle ?

- Bien sûr, c'est toi Anna, la fille qui l'a aidé pour ses devoirs ?

J'hoche la tête lentement. Ainsi, il lui a parlé de moi. Etonnant, vraiment. Elle griffone quelque chose sur un bout de papier et me le tend. Deux numéros y sont écrits. Noémie essaye de lire par-dessus mon épaule. Je lui lance un regard fatigué.

- Ce sont nos numéros, m'informe la mère d'Adil. Le premier celui de mon fils, le second est le mien.

Puis elle nous remercie une dernière fois et nous attendons qu'elle ferme complètement la porte pour nous en aller. C'est le coeur encore ballant que je dévale les escaliers.

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Cela fait presque cinq minutes que nous sommes coincées dans les bouchons. Je soupire. Je n'ai pas prononcé un mot depuis tout à l'heure. Je vois ma meilleure amie me lancer des petits regards sans arrêt. Cette fois-ci, je me tourne vers elle.

- Va-y, crache le morceau, je lui lance.

Ses épaules se relachent et elle tripote la lanière de son sac. Ses joues sont moins rouges et, de toute façon, je sais qu'elle n'est plus sous l'effet de l'alcool. Noémie résiste très bien à ce genre de boissons. C'est bien pour ça que je ne l'empêche plus de boire.

- Tu ne m'as même pas parlé de lui, bougonne-t-elle.

- Oui, je sais j'aurais dû. Mais je pensais pas que ça irait jusque là d'accord ?

Elle plante ses yeux clairs dans les miens.

- C'est un traffiquant ?

Je fronce les sourcils.

- Quoi ?! Je m'exclame. Comment tu peux me dire un truc pareil ?

- Bah, je sais pas, le gars qui l'a attaqué avait l'air louche. J'veux dire, enfin, Anna, t'as vu ses tatouages ? Il faisait vraiment flipper !

- Tu raconte n'importe quoi, j'insiste en reprenant le volant pour avancer que de quelques mètres. Adil n'est pas un traffiquant. Il n'a que 17 ans bon sang !

- C'est bien ça le problème : pourquoi un grand noir baraqué irait s'en prendre à un jeune de 17 ans ?

Je soupire encore. Je sais qu'elle a raison. Cette histoire semble vraiment cacher quelque chose de profond mais je sais que je ne pourrais pas interroger Adil sur ce sujet. Je ne le connais pas assez. L'embouteillage diminue mais je préfère utiliser un autre chemin pour rentrer. Point positif : Noémie habite dans la même rue que moi.

- Bon, bah alors, tu me racontes pas comment vous vous êtes rencontrés ? S'enquit-elle.

- C'est vraiment important ? Je gromellle, impatiente.

- Bah j'sais pas...ça doit être assez important pour que tu l'aides dans ses devoirs.

Elle me regarde du coin de l'oeil, un sourire malicieux aux lèvres. Touché ! Je secoue la tête en souriant. C'est vrai que ce n'est pas dans mes habitudes. Je me gare brutalement sur deux places et j'entend Noémie jurer doucement. Puis, une fois sortie de la voiture, elle me retient un moment en me fixant avec des yeux ronds.

- N'empêche qu'il est mignon franchement, me taquine-t-elle. Trop craquant !

- Va te faire cuire des crêpes Noémie ! Je ris en me dégageant.

Elle me fait un clin d'oeil et s'engage sur le trottoir d'en face. Je monte les petites marches de mon vieux batîment pour entrer le code. Je me trompe deux fois, à cause des nombres, et cherche mon badge dans mon sac. Je tombe sur mon téléphone qui s'allume, sans notification. Ouf. Je claque mon badge en dessous des chiffres et un bruit écorché s'échappe de la mini enceinte. J'entre précipitemment et appelle l'ascenseur, aussi vieux que ma grand-mère. Il est étroit et grinçant ; c'est aussi pour ça que je l'utilise que très rarement. Je rentre dans mon appartement en allumant la lumière de la hotte pour éviter de m'éblouir.

Puis, une fois habillée avec une simple culotte et t-shirt trop grand, je m'emmitoufle dans ma grosse couette. Je ferme les yeux en essayant de fermer mon esprit. Il ne me faut alors que quelques minutes pour tomber dans les bras de Morphée, sans m'en rendre compte.

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-Bipolaire Insensible-Where stories live. Discover now