- 14 -

118 11 38
                                    

-

Le soleil est déjà bien levé lorsque je me réveille. Je me redresse lentement et tire la couverture. Je suis torse nu, et un bandage froid recouvre mes bleus. Je touche doucement mon ventre et grimace. Je vais encore devoir rester à la maison. Je me lève de mon lit, en caleçon et m'observe dans le miroir. Ma mine n'est pas aussi affreuse que je me l'imaginais. J'ai des cernes et un pensement sur la mâchoire. Ma main est gauche est toujours bandée. Sans trop m'observer, je repère mes blessures. Ennuyé, j'ouvre mon armoire d'un coup, faisant tombé quelques vêtements roulés en boule. Je pioche un t-shirt rétro et un jogging assez ample.

Une fois habillé, je me déplace lentement vers la cuisine, Malo sur mes talons. Ma mère est concentrée sur son ordinateur avec une tasse de café à la main. Un pain au chocolat trône sur l'autre bout de la table accompagné d'un verre de jus d'orange pressées, encore frais. Elle lève la tête et me dévisage.

- Bonjour toi ! Sourit-elle. Tu te sens comment aujourd'hui ?

- 'Jour m'man. Bof.

Elle pose sa tasse sur la table. Puis me fixe durement. Je m'assois brutalement sur la chaise, de mauvaise humeur tout à coup. Je sens son regard me fixer.

- Tu sais, je pourrais a...

- Non, je la coupe sèchement en croquant dans ma patisserie. 'Pas envie.

Elle ferme son ordinateur, les sourcils froncés. Je la regarde innocemment avec un morceau de chocolat dans la bouche.

- Tu iras chez le médecin, que tu le veuilles ou pas ! S'écrie ma mère.

Je fronce les sourcils et grimace en secouant la tête. Je sirote mon jus d'orange tranquillement pour éviter d'avoir à affronter son regard.

- Tu ne peux pas rester comme ça, Adil. Reprend-elle plus calmement. Il va falloir...

Je frappe de mon poing valide sur la table d'un cou sec qui fait renverser mon verre, heureusement vide. Ma mère sursaute et je hurle n'importe quoi pendant un moment. Puis je retourner, furieux, dans ma chambre en prenant soin de claquer la porte. Je me jette sur mon lit et hurle dans mon coussin, de douleur, de honte et de tristesse. Tous mes sentiments horribles refont surface et je me mets à pleurer en gémissant. Puis, une fois cette crise terminée, je me retourne sur le dos, les yeux fermés. Bordel...

-

Ma mère n'est pas là quand je me réveille après une courte sieste. Je me précipite dans le salon, mais seul Malo m'attend. Mais même lui ne semble pas très heureux de me voir. Je soupire. Mon regard s'arrête sur l'horloge vintage de la cuisine : 15h20. J'ai beaucoup dormi, alors. Sur la table, ma mère a déposé une boîte de salade avec un petit mot. Je bloque ma respiration en lisant le mot.

Ceci est ton repas pour ce midi.
Je suis allée manger chez ton oncle.
N'oublie pas que je t'aime fort,
même si je me suis fâchée.
A toute à l'heure, Adil.

Ma lèvre tremble en lisant ces mots. Je t'aime fort. Il n'y a rien de plus poignant pour moi que d'entendre ces quelques mots. Je m'assoie et ne mange que la moitié de ma salade, à même la boîte. Je reste un moment assis là sans rien faire, avant d'entendre la sonnerie de mon téléphone. Un numéro inconnu. J'attends la dernière sonnerie pour décrocher.

- Oui ? Je soupire, las.

- Adil ?

Cette voix. Je me râcle la gorge.

- Oui, c'est moi.

Un silence s'installe alors. Je n'aime pas ça.

- Je...j'appelle pour prendre des news, continue Anna. Autant te dire que t'étais dans un sale état hier. Alors, tu t'en sors ? Je veux dire, ça va ?

- Oui, ma mère m'a bandé mes blessures, je dis d'une voix lente. Je pense que dans quelques jours je serais remis.

Un autre silence, moins long, se place entre nous. Je me lève et mets l'haut-parleur, en posant mon téléphone sur le mini-bar, pendant que je fais la vaisselle.

- Bon, bah alors c'est cool, poursuit Anna. Noémie s'inquiétait d'ailleurs, ajoute-t-elle en baissant la voix.

- Je vais bien, j'assure.

Je m'agite, nerveux. Parler au téléphone m'a toujours mis mal à l'aise car je ne vois pas les expressions de mon interlocuteur. Même si elle cache ses émotions, j'aurais aimé lui parler de vive voix. Je rapproche le téléphone.

- Adil, je sais que c'est pas forcément une question à poser mais...

- Alors ne la pose pas, je l'interrompe sans paraître froid. Ne me pose pas de question sur cet homme. Oublie.

Je sens l'atmosphère se tendre rapidement.

- C'est juste que tu aurais pu être beaucoup plus blessé que ça. Ce mec était barraqué comme un boxeur.

- On ne se connaît pas assez pour que je te réponde, c'est tout, je lui lance d'un ton ferme.

- Alors apprenons à se connaître, propose-t-elle calmement.

Je me fige. Jamais personne ne m'avait proposé une telle chose. J'hésite. Je me sèche les mains vivement. Elle m'attend. Qu'est ce que je dois répondre bon sang ?

- Pourquoi ?

Mauvaise pioche, mon vieux.

- Pourquoi j'ai envie de te connaître c'est ça ? Grommelle Anna d'une voix neutre.

- Oui.

- Eh bien c'est simple : j'ai envie d'en apprendre plus sur toi, explique-t-elle. Quand je t'ai vu te faire battre par cet homme, je me suis sentie coupable quelque part. Si ça avait été Noémie, je n'aurais même pas hésité à la défendre. Mais toi...je...je ne te connais pas alors je me suis dis que je n'avais rien à faire de ta situation. Et puis évidemment, j'avais tort.

Je m'assoie sur une chaise haute, perdu dans mes pensées. Je ne veux pas perdre cette opportunité d'avoir enfin quelqu'un de mon âge à qui parler. Mais je sais aussi qu'à tout moment, je peux faire tout basculer et lui faire du mal. Je prends ma tête dans mes mains.

- Je sais pas...j'en sais rien !

- Bah, ça vaut le coup d'essayer non ? Qu'est ce qu'on a à perdre ?

Toi, tu pourrais te perdre, Anna. Moi j'ai perdu depuis longtemps.

- Je suis différent des autres gars et ça pourrait mal finir.

- Je m'en fous que tu sois différent, sinon je ne t'aurais même pas aidé ce soir là. C'est parce que tu es différent que tu comptes.

Trop de paroles apaisantes en même temps ne m'a jamais mis autant mal à l'aise. Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire.

- Je prends ça pour un oui alors, résume-t-elle après un silence. Tu verras, je ne mords pas trop.

- Je n'en doute pas, je lui assure.

- Je vais devoir te laisser, enchaîne Anna en baissant la voix. On s'appelle plus tard okay ? Ou tu m'envoies un message.

- Oui, je murmure la main posée sous mon menton.

- Et si jamais t'as besoin d'aide pour les maths...

Je l'entends pouffer et me mets moi aussi à sourire. Elle raccroche et je me sens vide tout à coup. La maison semble vide tout à coup, dénuée de vie. Je passe la main dans mes cheveux et enregistre son numéro dans mon répertoire. Qui sait ce qu'elle pourra m'apporter ?

-

-Bipolaire Insensible-Where stories live. Discover now