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Mon cœur bat a un rythme trop rapide pour que je puisse me concentrer plus d'une seconde. Et je sais pertinemment que ce n'est pas dû qu'à l'effort physique. Anna. Je cherche frénétiquement mes pilules, ma serviette toujours autour de ma taille. Je les mets dans ma bouche et titube vers le robinet. Je bois deux gorgées pour avaler les cinq petites pilules rouges. Puis je m'assois quelques secondes pour me calmer. Enfin, une fois mon pouls diminué, je commence à m'habiller tranquillement. Une fois prêt, je me précipite vers la sortie, autant pour éviter les gens que pour rejoindre Anna. Je balaye la rue du regard et la vois finalement adossée à un arbre. Elle a les bras croisés sur sa poitrine, cachés en dessous de son Pancho. C'est la première fois que je la vois coiffée de tresses. Elle fronce les sourcils lorsqu'elle me voit et esquisse un mini sourire. 

- Super démonstration, fait-elle en mettant sa capuche. Je m'y attendais vraiment pas.

- Tu me croyais pas aussi doué c'est tout, je lui réponds non sans humour.

Elle sourit, franchement cette fois.

- C'est exactement ça.

Je m'approche d'elle pour lui enlever sa capuche. Je laisse trainer mes doigts sur son oreille, puis sa joue et enfin son menton. Je sens sa peau lisse  sous mes doigts tandis que mon visage semble prit d'une soudaine chaleur. Elle me regarde dans les yeux, sereine et je serais presque tenté de la prendre dans mes bras. Mais je retire ma main et la remets dans ma poche. 

- J'aime bien ta coiffure, dis-je d'une voix bizarre en détournant les yeux. Je trouve que ça...ça te va bien.

Elle me tape gentiment l'épaule et se redresse. Puis elle me fait signe de me suivre d'un signe de tête. Je ferme mon blouson ; il fait bien trop froid en ce moment. Une fois arrivée devant un parking à vélo, elle retire l'anti-vol du sien. Je détourne la tête, les joues toujours en feu. Elle retire son vélo d'un geste sec et s'arrête devant moi.

- Viens, j'te montre où j'habite c'est pas loin, me propose-t-elle.

Je hausse les épaules, nerveux. Elle secoue la tête et passe une jambe au dessus du VTT. Puis elle se tourne vers moi. 

- Allez, pose tes fesses sur le porte bagage. Je l'ai pas ramené pour rien.

- Tu veux que...? Je répète, indécis.

Elle me prend le bras et m'atire vers le vélo. Je m'assoie alors dessus et garde les mains sur les bords du "siège". Je la vois pianoter sur son téléphone au milieu du guidon. Puis elle me sourit et commence à pédaler. J'avoue qu'au début, mon cœur ne cesse de faire des bonds à chaque fois qu'une voiture nous croise mais je réussis à garder mon calme. Anna pédale vite  grâce à ses jambes puissantes mais prudemment. Elle regarde dans tous les sens d'un oeil vif pour éviter de louper un véhicule ou un piéton. Lorsqu'elle doit s'arrêter au feu rouge, je la sens se crisper sur le guidon. Mais à aucun moment, elle ne montre des signes de fatigue. Elle se contente de pédaler en me jetant parfois des coups d'oeil discrètement. 

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Nous arrivons devant un vieux immeuble haussmannien typique, dans une ruelle où l'on peut garer sa voiture que sur une seule rive. Elle s'arrête et descend du vélo rapidement. Je l'imite timidement, comme à mon habitude. Elle n'a aucun mal à porter son vélo pour monter les marches de l'immeuble afin d'arriver au local à vélo. Puis, toujours aussi silencieusement, elle monte les escaliers jusqu'à s'arrêter au deuxième étage. Nous sommes devant une porte couleur émeraude avec comme numéro le 17. Je déteste les nombres impairs. Le cliquetis des clés me donnent des frissons dans le cou. Elle ouvre la porte en grand. 

- Vas-y, entre. Mais fais pas trop comme chez toi, me lance-t-elle avec un clin d'oeil. Oh, et tu peux garder tes chaussures je m'en moque.

L'appartement est assez spacieux. Je m'attendais à un studio. J'arrive dans le salon ; une baie vitrée donne sur un petit balcon, la pièce est décorée simplement avec des touches de blancs et de bleu et je me sens tout de suite à l'aise. Je parcours la pièce du regard. Pas de photos ? Je n'en trouve qu'une seule : Anna et ses frères sont à la plage et sautent de joie. 

- J'en étais sûre, lâche Anna derrière moi. C'est bien la première chose qu'on cherche dans une maison nan ? Les photos. Ca révèle beaucoup de choses sur nous-mêmes...

Elle reste un moment silencieuse puis me transperce du regard.

- Bref, t'as des trucs à me raconter Adil. 

Je me crispe le temps d'une seconde. Dîtes moi que c'est une blague...

- Alors c'est pour ça que tu m'as fait venir, hein ? J'explose en serrant les poings. Tu veux quoi ? Que je viennes me coller à toi et te raconter ma misérable vie ?

Je remets mon blouson d'un coup sec. Mais Anna semble maintenant inquiète. Elle se poste devant moi d'un air autoritaire mais je ne veux pas plonger mes yeux dans les siens.

- Je veux juste savoir comment tu vas. C'est tout ! Tu te fais fracassé par un mec louche, puis après tu m'ignores, tu fais une crise de panique et tu m'ignores encore pendant une semaine ! Tu penses toujours que je m'en fais pas pour toi Adil ? 

Je détourne la tête, un trop plein d'émotions m'imergent l'esprit.

- Tu comprends pas Adil ? Continue-telle plus calmement. Je m'en fous que tu sois atteint de cette maladie ! Ne laisse pas ça te déterminer. 

- Si tu ne vois pas ma bipolarité, alors tu ne me vois pas, je réplique durement.

J'ose enfin rencontrer ses yeux et j'y vois pour la première fois une profonde émotion. Elle me regarde avec de grands yeux, mêlant de la peur et de l'inquiétude. Mais j'y vois aussi de la détermination et peut être un sentiment plus fort. Je me passe la main dans les cheveux. Calme toi, mon vieux, on respire. Je sens sa main sur mon bras. Je tremble déjà.

- Je te vois Adil, je te vois. Mais si tu veux que je te vois tel que tu es vraiment, arrête de t'enfermer dans ton monde, de te crisper à chaque fois que je te pose une question.

Je hoche la tête, les larmes aux yeux. Je ne sais plus quoi dire, quoi faire. Alors mes doigts rencontrent une nouvelle fois son beau visage ; je frôle lentement ses lèvres et sa joue. Je me mets à tripoter sa tresses avec des mains tremblantes. Cette fois-ci, elle ne reste pas immobile à me fixer. Ses mains passent autour de ma taille et je sens nos corps se rapprocher lentement. Sa tête trouve refuge sur mon épaule. Mes doigts sur son cou, je sens maintenant sa poitrine se soulever avec la mienne, synchronisées. Je me laisse aller, je me détends et refoule mes larmes. Je me sens tellement bien avec toi, Anna. Son souffle me chatouille la nuque. Elle me caresse le dos lentement, au même rythme que mes mains descendent vers sa taille. Nous restons là, ses mains serrant mes épaules et les miennes sur sa taille ; nous respirons le même air et nos cœurs battent ensemble. Jusqu'à ce qu'elle frôle ma joue avec ses douces lèvres, le temps d'un soupir, d'un battement. Jusqu'à ce que mon cœur explose d'une magnifique douleur. 

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-Bipolaire Insensible-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant