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Assis sur l'escalier de la médiathèque depuis déjà dix minutes, je ne sens presque plus le bas de mon corps. J'ai froid et aucun moyen de me réchauffer sans entrer dans le bâtiment. Je frotte mes mains, enveloppées de vieilles mitaines noir. Anna semble aussi avoir froid : je la vois souffler dans ses mains désormais toutes blanches.

- Si ça continue comme ça, mes fesses vont rester collées ici, lâche-t-elle. Il fait trop froid j'en peux plus !

J'enlève mon bonnet et l'enfonce sur sa tête ; ses cheveux frisés forment un nuage brun autour de son visage. Elle se tourne vers moi lentement comme pour créer un effet de surprise. Je pouffe. Elle se joint à moi et son rire réussit à me réchauffer le cœur pendant un court instant. Puis elle redevient sérieuse et recommence à se frotter les mains. Hésitant, je les prends dans les miennes et les frotte doucement. Elle fixe nos mains jointes mais ne dit rien.

- J'ai une question qui me brûle la bouche, Adil.

Elle se rapproche de moi mais lorsqu'elle touche mon épaule avec sa main, je tressaille.

- Je peux la poser ?

- Oui, je bafouille le cœur ballant.

Je lâche ses mains et rentre les miennes dans mes poches. Ma respiration s'accélère et je n'arrive pas à fixer un point fixe pendant plusieurs secondes. Je cligne des yeux comme un dingue. Je dois m'y prendre à plusieurs fois pour enfin réussir à me calmer et à réduire mon pouls. Doucement mon vieux... Pendant ce temps là, Anna n'a fait que m'observer d'un œil perçant, comprenant que je ne me sentais pas très bien.

- Où est ton père ? Lâche-t-elle alors.

Père. Ce mot suffit à me faire bondir et dévaler la reste des escaliers pour me trouver devant une rue bondée. J'entends Anna dévaler aussi les escaliers derrière moi. Mes yeux se remplissent de larmes. Mes mains tremblent d'une façon anormale. Je déglutis. 

- Okay j'en étais sure ; je n'aurais pas du te poser cette question, conclut-elle en secouant la tête. Je manque de tact, j'suis désolée...

- Je n'ai plus de père, je réplique simplement d'une voix enrouée.

Cette fois ci, je la regarde droit dans les yeux. Elle se frotte les mains machinalement et pince les lèvres. Nous restons silencieux, jusqu'à ce qu'elle éternue. Elle renifle et je me surprends à trouver ça presque attirant. Je me rappelle que la première fois qu'on s'est rencontré, elle reniflait, le nez saignant. Je m'approche d'elle et lui touche l'épaule.

- Tu ne pouvais pas savoir, Anna.

Elle hoche la tête et grimace.

- J'ai une autre q...

- Non, je l'interrompe sèchement et je me détourne.

- C'est en rapport avec la bipolarité ! S'écrie-t-elle. Juste un renseignement, tu vois.

Mes épaules se relâchent mais je retiens toujours ma respiration. Elle me donne un petit coup de coude. Je lui lance un regard interloqué.

- Tu crois que je n'ai pas remarqué ? M'interpelle-t-elle d'un ton dur.

- Quoi ?

- Arrête de retenir ta respiration à chaque fois que t'es tendu ou un truc du genre !

- Tu trouves ça bizarre ?

- Non juste dérangeant. Et puis tu pourrais arrêter de cligner des yeux comme ça ?

Je détourne la tête, vexé. Puis je referme mon manteau jusqu'à mon cou et me mets à marcher sans réelle destination.

- Et bien si tu veux vraiment savoir, c'est bien en rapport avec ma maladie, je lui lance presque brutalement. J'arrive dans des phases où je suis hyperactif et je n'arrive pas à me concentrer sur quelque chose, à écouter ou même regarder un truc. Je ne peux rien y faire, j'ajoute doucement.

Elle hausse les sourcils. Puis elle me rends mon bonnet, que je glisse sur ma tête rapidement.

- Oh. Je pensais que c'était un tic.

- Bah c'est un peu pareil.

- Tu prends des médicaments, non ?

- Oui...

- Et moi qui pensais que c'était juste un truc du genre t'es juste soit dépressif soit joyeux, elle m'avoue en faisant la moue. Je m'y connais pas du tout apparemment.

Je ne répond pas. D'abord parce que mes tics reviennent et ensuite, parce que je ne sais plus quoi dire. Je marche simplement là, au hasard et Anna me suit, grelottante. 

- J'aimerais bien rester encore un peu à discuter mais je dois bientôt y aller, m'annonce-t-elle tout à coup. 

Je hoche la tête et m'arrête. Elle sort son téléphone de son sac et s'empresse d'appeler quelqu'un. Je parie que c'est Noémie...

- No ? Bafouille-t-elle après quelques secondes. Est ce que tu pourrais...

Je n'écoute plus vraiment, attiré par l'odeur d'une cigarette. Je me tends, en alerte. Cette odeur me rappelle trop de cauchemars mais en même temps, je me tenterais bien à me remettre à fumer. Pourquoi lutter, fiston ? Je ferme les yeux. Tout à coup, je sens quelqu'un me toucher et, instinctivement, je me retourne brusquement. Anna me regarde avec des yeux perçants, le téléphone toujours à la main. Mais ses yeux fixent quelque chose derrière moi. En face de nous, Noémie traverse la rue en trottinant, ses boucles blondes ramassées sur une épaule. Elle sourit, me fait un signe de la main et se précipite dans les bras d'Anna. Celle-ci recule, mais ne prend pas son amie dans ses bras. Evidemment...

- Tu m'as manqué tu sais ? S'écrie Noémie. 

- No, ça fait juste deux jours qu'on s'est pas vu, bougonne Anna en levant les yeux au ciel d'un air théâtral.

- Mais j'ai tellement de choses à te raconter !

Puis, toute excitée, elle se tourne vers moi. 

- Alors, ça va toi ? 

Je fronce les sourcils. Un moment de silence suit sa question, jusqu'à ce qu'Anna éternue. Je cligne des yeux. Reprends toi, fiston, tu perds la boule ! Je me frotte le visage. Encore cette fichue voix !

- Bon, fait Anna en se raclant la gorge. On va devoir y aller, nous.

Je ne dis toujours, rien, en proie à de nombreux tics nerveux. Anna s'approche de moi et me tapote l'épaule. Je ne bouge pas. Respire, respire ! Lorsqu'elles disparaissent de mon champ de vision, je titube vers un arbre et vomis.

Oh, regarde comme tu fous la mer** ici...

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-Bipolaire Insensible-Where stories live. Discover now