Chapitre C: Cersei Lannister, Port-Réal

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Je restais cloîtrée dans le donjon rouge, passant mes journées à boire et conspirer contre des ennemis invisibles. La vie se dégradait de jour en jour, en même temps que la situation du royaume. J'étais désormais capable de rester des heures à mon balcon, contemplant la ville qui se vidait, sans même me poser de questions, une coupe de vin à la main.

Encore ce matin d'autres mauvaises nouvelles. Un corbeau nous était parvenu. Ned Stark s'était décidé à rendre publique l'information. J'étais en train de demander à Jaime de ces nouvelles et de sa réaction face à cette annonce. Après tout, il était de sa responsabilité l'approbation de Ned concernant les « aveux ». Partout où je passais, les regards se tournaient de plus en plus dans ma direction. Je m'efforçais de les ignorer, affichait un visage d'une neutralité parfaite, mais rien n'y faisait, ils continuaient à m'atteindre.

Je sortis de mes appartements, descendis de ma tour, pour me rendre à l'arrière de la salle du trône, à une réunion hebdomadaire du conseil restreint. Je croisai sur ma route le roi, plus arrogant et cruel que jamais. Il s'amusait à torturer ses propres sujets pour des motifs qui restaient inconnus. Mais malgré le choc causé par sa cruauté, il restait mon fils, mon premier né, et je continuerai à l'aimer comme tel. À ce jour, je continuais et je continuerais à lui mentir concernant l'identité de son père, persistant dans l'idée que Ned Stark voulait seulement dissuader la population de nous soutenir.

Le conseil, s'adaptant à la situation, continuait de voir défiler des membres. Jaime était parti, comme l'étaient Tyrion et Littlefinger pendant que Jeoffrey – bien qu'invité à toutes les réunions – se démarquait régulièrement par son absence. Demeuraient mon père, Varys, Pycelle et moi-même. Les quatre survivants. Les réunions devenaient par conséquent de plus en plus courtes, de plus en plus rapides, de moins en moins efficaces. Malgré les efforts de mon père, nous ne parvenions pas à trouver un maitre argentier à la hauteur du défi, sans parler des innombrables postes vacants. À l'ordre du jour ne subsistaient que querelles familiales sur la presqu'île de Claquepince, non-loin d'ici, et pillages de fermes dans les terres de l'Orage.

Une fois celle-ci terminée les membres retournèrent immédiatement à leurs occupations, si bien que je n'eus pas le temps de converser avec mon père avant qu'il ne parte. Pourtant la nécessité de lui parler d'importantes affaires, l'absence de Varys et Pycelle étant préférable, était capitale. Je me dirigeais vers les appartements de la main du roi, mon père. Depuis son arrivée, toutes les affaires, de la plus petites à la plus importante, tous les problèmes, toutes les informations, circulaient par sa tour. Il avait un don pour régler les problèmes.

La tour de la main était la plus grande du château, la plus isolée de la ville aussi. Point culminant de la métropole, elle était le symbole de la puissance royale. Elle se situait au bord du rocher sur lequel avait été bâti le donjon rouge, à quelques mètres de la mer. En contrebas, des rocs et plantes diverses qui constituaient une petite partie des jardins royaux. Une chute en serait fatale. Se rendre jusqu'à ses appartements était épuisant, au nombre d'étages à parcourir et d'escaliers à gravir. Il se trouvait dans son bureau, un papier dans une main, une plume dans l'autre. Les affaires d'état occupaient la majeure partie de ses journées. Il releva tout de même la tête à mon arrivée.

-Je ne te savais pas sortie de ta précieuse tour, le cracha-t-il.

Ce ton jeta immédiatement un froid entre nous. Il avait posé les bases d'un nouveau conflit interfamilial.

-Que pourrais-tu bien me reprocher ? feignis-je l'innocence.

-Tant de choses, si tu savais. Le temps que je parvienne à la capitale, tu as réussi à nous enlever un allié, te mettre la moitié du royaume à dos, en sachant que l'autre moitié tu étais déjà hostile. Tant d'actes irréfléchis de ta part sont en train de nous mener à une descente aux enfers.

Mot après mot, je voyais son visage se refermer et sentais mes dents se resserrer.

-Ces « actes irréfléchis », répliquai-je, étaient l'unique moyen de nous sortir de cette crise. J'ai lancé les dés, et je l'admets, j'ai perdu. Mais quel autre choix avais-je ?

-D'innombrables opportunités s'offraient à toi. Même Tyrion a su les voir. Ta fierté et ton orgueil viennent de coûter la vie de dizaines de milliers de personnes. Et plus grave encore, de plusieurs membres de ta propre famille.

-Tout ce qui compte, c'est le nom de famille.

Cette citation, répétée maintes et maintes fois par père, était son seul objectif sur terre. S'assurer de poser les fondements d'une grande dynastie, dusse son nom être maudit voire oublié. Par ces mots, je prouvais mon attention à son égard, et bien que cela me déplaisait, affichait mon obéissance future à ses ordres. Contre toute attente, il continua dans son discours des plus péjoratifs à mon égard.

-La raison pour laquelle je ne peux te faire confiance n'est ni que tu manques d'intelligence ni que tu manques d'apprentissages, mais que tu te crois plus maligne que tu ne l'es. Dans ce donjon, tout le monde joue, du simple jardinier au plus haut seigneur, tout le monde risque tout et parie plus à chaque lever de soleil. Tu es bien loin d'être la seule à être capable de jouer avec les trônes.

-Non que je sois la seule, j'en suis la plus douée, clôturai-je posément la conversation.

Après un long échange de regard des plus insistant, je décidai de partir. Il n'y avait rien à espérer d'un bougre de son espèce. Autrefois il était mon idole, mais aujourd'hui déchu il n'était qu'un ennemi de plus. Lui tournant le dos, je repartis posément pour ma propre loggia.

-Où crois-tu aller comme ça ? m'arrêta-t-il.

-Je pense qu'une conversation nous est impossible au vu de ta monopolisation de la parole, m'emportai-je. Parler de la lettre diffusée par Ned Stark ne ferait qu'élargir le fossé que tu viens de creuser.

Dos à lui, je n'osais plus le regarder. Le voir déçu de mon attitude après toutes ces années à le servir m'horripilait.

-Je comprends. Retourne à tes amusettes avec ton incontrôlable fils, et assures-toi qu'il n'empire pas à son tour la situation. Une dernière chose ! Comptes-tu annoncer cette lettre comme vérité dans le seul but de me nuire ?

Sa voix n'avait transparu aucune frayeur, mais pour le connaitre de longue date, je savais que ces paroles traduisaient un sentiment nouveau chez lui : l'incertitude. Je me surpris à sourire, et me retournant une ultime fois en sa direction :

-Peut-être.

Sur ce, je le laissai pâtre à ces papiers. Il n'avait en rien saisi l'importance de cette lettre. De toute évidence, il en craignait les conséquences, mais n'avait pas imaginé un seul instant que les informations véhiculées étaient la vérité. Il restait convaincu que Jaime était innocent. Après avoir passé tant d'années à protéger la famille, il n'avait pas tourné une seul fois son esprit vers les protégés. Son ignorance me mettait en rage. Tous n'étaient que des oiseaux de papier, comparé aux monstres qui nous guettaient au-dehors.

Game of Thrones - tome 1: Premières GuerresWhere stories live. Discover now