Chapitre CXVI: Stanis Barathéon, Accalmie

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La pièce était taciturne, la salle austère. Peyredragon avait beau toujours avoir été lugubre, aujourd'hui plus que jamais Accalmie montrait son désaccord avec ma prise de pouvoir. Depuis l'incendie des greniers, plus personne ne mangeait à sa faim. Seul le bruit des couteaux brisait le silence. À ma gauche, ma femme se buvait lentement la soupe que j'avais préparé avec des reliures de livre – celles-ci étant constituées de graisse de cheval.

Les milliers d'habitants que Renly avait rassemblés dans la ville ne se nourrissaient que d'oiseaux, de chevaux, de chiens, de rats. Tous les animaux qui avaient le malheur de se trouver dans la cité étaient maintenant prisonniers des estomacs humains. Combien de temps nous restait-il donc avant que les premiers actes de cannibalisme apparaissent ? La seule chose que mon frère avait à faire pour récupérer sa métropole était d'attendre.

-Jamais je n'aurais dû revenir.

Je parlais dans le vide, ne sachant qui écoutait et qui plongeait dans un état de veille.

-C'était le seul moyen, déclara Davos. Sans hommes, pas d'armées. Sans armées, pas de bataille, pas de victoire.

-Il existait un autre moyen, rappela Lady Mélissandre. Je vous avais proposé de vous servir de la magie du sang royal, mais vous avez refusé d'entendre raison.

-La magie du sang royal, répétai-je avec dégout.

Ce qu'elle appelait « magie », je le caractérisais par sorcellerie. Ce dont nous avions plus besoin était, comme Davos l'avait précisé, d'atouts rationnels et puissants. Tel que les soldats. Tel que la science. Celle-là même qui avait sauvé ma fille, mon seule enfant, à l'âge de quatre ans.

J'avais eu le malheur d'amener ma famille avec moi. Que pouvais-je bien m'imaginer ? Que ce serait une partie de plaisir, que tous se rallieraient derrière le seul vrai roi ? Je savais de longue date que les hommes n'aimaient pas faire ce qui était juste. J'aurais du savoir qu'ils déserteraient les uns après les autres.

-Cela me rappelle le siège dix-huit ans auparavant, dit Selyse. Te souviens-tu Stanis ?

-Bien sur que je m'en souviens. Assez horrible pour ne pas en parler à table merci bien.

D'un air désolé, elle se replia sur elle-même. Lady Selyse appartenait à la famille Florent. Nous étions mariés depuis de longues années, mais voilà bien longtemps que nous ne partagions plus le même lit. Rongée par le chagrin de n'avoir pu m'apporter de fils, je la voyais sombrer dans la folie année après année. Mais elle resterait avec moi car, aussi surpris que pouvaient en être les autres, une part de moi continuait à l'aimer. Elle était la seule qui avait traversé toutes les épreuves avec moi. Même ce satané siège.

Pendant la rébellion de Robert, les armées Barathéon, Stark, Lannister, Targaryen se battaient de la capitale au Neck. Pendant ce temps, je croupissais ici assiégé par ces mêmes Tyrell, moi chargé par Robert de tenir la ville, eux chargés par Aerys de la conquérir. Je tins près de six mois sans le moindre vivre, après ce qui nous semblait être plusieurs années de sièges. Les cadavres s'amoncelaient, nous étions tous sur le point de périr, lorsque Davos était arrivé avec ses chariots de vivres. Pour cet acte, je l'avais fait chevalier et mon plus proche conseiller. Pour ces vingt ans en tant que contrebandier mon devoir lui avait coupé les doigts. Bien que désormais il n'avait plus de main.

-Comment se porte votre bras ? lui demandai-je.

-Mieux que la coté, répondit-il. Selon les mestres l'infection s'est arrêtée. Je ne retrouverais jamais ma main mais au moins je garderai mon bras.

Je ne pris même pas la peine de répondre. Plus personne ne le faisait. Nous économisions nos forces et nous enfoncions chacun de notre côté dans notre désespoir. Le repas se termina sans un mot, chacun de nous quatre retourna dans ses appartements. Mais avant qu'elle ne parte, je demandais à ma femme si je pouvais aller voir ma fille.

-Tu n'as pas besoin de la voir, je t'en prie, me répondit-elle en premier lieu.

Elle en avait la garde, mais tout le monde savait qu'elle la méprisait pour sa blessure.

-C'est ma fille, notre seul enfant. Je la chéris autant que tu le devrais. S'il te plait, tâche de l'aimer autant qu'elle ne le mérite.

-Je vois.

Son ton se voulait sec mais je savais la tendresse qu'elle refoulait.

-Elle se trouve deux étages plus bas. Demande aux gardes ils sauront te montrer la voie.

Je me rendis dans ces appartements, où elle lisait comme à son habitude depuis ses trois ans.

-Comment te portes-tu ? lui demandai-je.

Comme elle n'avait pas remarqué ma présence, elle leva la tête et sauta dans mes bras dès qu'elle me vit.

-De mon côté ça va. Mais l'on raconte que de mauvaises choses se passent en ville. Pleins de gens disparaissent la nuit.

Je ne pouvais pas lui dire que ces gens préféraient fuir que mourir. Je choisis de répondre par une autre question.

-T'apporte-t-on suffisamment de nourriture ?

-Je ne peux pas me plaindre. J'ai vu l'incendie des greniers, je sais que nous n'avons plus rien. Mais on m'a servi de la tourte de pigeon pas plus tard qu'hier et je reçois régulièrement des portions de fruits des jardins de la ville.

Même dans les moments le plus noirs, elle restait optimiste. Je plongeai avec elle dans ses livres. Elle avait sur la joue une cicatrice, témoin de la sclérose qu'elle avait eu à ses quatre ans. D'énormes plaques semblables à des rocs lui recouvrait toute la moitié du visage, la rendant hideuse. Mais elle n'en restait pas moins une petite fille adorable.

Je lus une partie de « la danse des dragons » avec elle. Enfermée toute sa vie dans une même pièce, qui changeait selon la ville dans laquelle nous nous trouvions, elle ne faisait plus que lire et jouer avec des figurines en bois que Davos lui apportait. Pendant que je lui lisais les ravages faits par les dragons, je repensai à ceux que nous causaient la famine.

Lady Mélissandre me disait que c'était le dieu de la lumière qui me mettait à l'épreuve. Désormais je croyais en son dieu, plus qu'en la vie. Je devais me préparer pour ces épreuves. Lorsque les armées Martell et Tyrell attaqueraient, je combattrai, à moins que... une idée faisait son chemin dans ma tête. Contrairement à ce que j'avais prétendu, je n'avais pas condamné le passage qui menait à la ville. Je pouvais encore l'emprunter. Je commençais à penser qu'il allait falloir fuir.

Game of Thrones - tome 1: Premières GuerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant