Acte V, 3e Épître - Le calme avant la tempête

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Lucifiël était allongé dans l'herbe fraîche, à l'ombre d'un saule pleureur. Une légère brise agitait les branches-lianes, laissant percer quelques rayons de soleil entre ses feuilles. Le minotaure leva le bras gauche pour protéger ses yeux endormis de la lumière, avant de se redresser légèrement pour contempler les alentours. Il se trouvait au sommet d'une colline, et il ne voyait que de la verdure à perte de vue. Le ciel était dégagé et azuré, sans l'ombre d'un nuage, et hormis le va-et-vient des branchages au gré du vent, nul bruit ne venait troubler la quiétude de cet instant. L'ange sentait les brins d'herbe chatouiller ses flancs, ce qui lui déplaisait, et il se leva donc promptement.

S'ébrouant avec vigueur pour débarrasser son pelage de la fine couche de rosée qui le recouvrait, il scruta la ligne d'horizon, à la recherche d'un signe de vie, en vain. Il tendit l'oreille et huma l'air, mais ses autres sens ne firent que confirmer l'absence d'être vivant à proximité. Cette déficience l'étonna. Il avait arpenté la totalité des planètes créées par son Père, et s'il y avait une constante parmi toutes celles dotées d'une atmosphère, c'était bien la présence de créatures sur sa surface. De l'insecte au mammifère, en passant par les reptiles ou les volatiles, leur Créateur implantait toujours au moins une espèce animale sur chaque planétoïde qu'Il façonnait, car Sa soif créatrice sans limites Le poussait à essayer sans cesse de nouvelles combinaisons moléculaires, donnant vie à des faunes et des flores d'une diversité remarquable.

Mais plus surprenant encore, le minotaure ne savait pas comment il était arrivé dans cette prairie. Il se souvenait avoir terminé une séance d'entraînement à la maîtrise des énergies élémentaires avec une dizaine de recrues, puis il les avait accompagnés jusqu'à l'amphithéâtre où les attendait Ratziël pour une leçon d'art et de poésie. Ne goûtant pas les bons mots de son frère, Lucifiël s'était éclipsé pour rejoindre ses appartements... En se remémorant ces événements, il eut une illumination : il s'était très certainement assoupi sur sa couche, gagné par une fatigue soudaine. Il était donc en train de rêver, tout simplement. Mais la gêne qu'il ressentait ne se dissipa pas face à cette découverte, car en rêve comme éveillé, il ne vivait que pour challenger ses pairs et éprouver sa force physique.

Un océan de verdure et de quiétude tel que celui qu'il était en train d'expérimenter ne correspondait nullement à ses habitudes, et il eut le sentiment que quelque chose clochait. Il se dirigea vers la forêt de bambous qui s'étendait aux pieds de la colline puis s'y enfonça d'un pas décidé. Écartant rageusement les chaumes qui lui fouettaient le museau, l'ange de la deuxième génération cherchait un indice qui lui permettrait de comprendre ce qui lui arrivait, mais le silence persistait. Alors qu'il arrivait dans une clairière, Lucifiël poussa un cri de colère, piaffant de frustration le sol meuble. C'est à cet instant qu'il lui sembla saisir un murmure noyé dans le sifflement du vent. Tendant l'oreille, il réussit à distinguer deux voix, très lointaines, presqu'inaudibles.

« - ... a failli m'occire..., s'exclama le premier individu.

- ... navré. Il... plus qu'escompté... s'excusa le second.

- Hâte-toi ! ... autres nous attendent !

- Ces voix me sont familières... Mais de quoi devisent-ils ? se questionna le minotaure.

- Si tu veux... à ta perte, je... prie. Procède donc, rétorqua la deuxième voix d'un ton agacé, alors que ses propos devenaient de plus en plus distincts. Si tu imagines... facile de maintenir... force de la nature assoupie...

- J'aurais dû m'en douter... On me joue un tour pendable, mais ils vont prestement regretter de s'être attaqué à pareille partie. »

L'ange à l'apparence taurine ferma ses paupières et apaisa sa respiration, plongeant son esprit dans un état de transe méditative afin de communier avec son environnement, tentant de renouer avec son corps physique et de déterminer où se cachait celui qui manipulait ses rêves. Ses sensations commencèrent à lui revenir, et il put donc sentir une présence postée à sa droite et une autre à sa gauche. De cette dernière émanait une aura meurtrière, et il en déduisit que l'hypnotiseur était son acolyte. Il porta donc un coup rapide dans sa direction, et il sentit un liquide chaud couler le long de ses griffes alors qu'un terrible cri de douleur retentissait dans la chambre du minotaure.

DIES IRAE - Cycle I : L'AngicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant