Acte V, 15e Épître - L'heure des adieux

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Ben ne ferma pratiquement pas l'œil ce soir-là, malgré sa joie d'enfin retrouver son lit. Il essayait de traiter les informations contradictoires qu'il avait collectées tout au long de la journée et des discussions qui l'avaient émaillée. Mais plus il y réfléchissait, et moins tout cela avait de sens. Le récit de Lucifer, l'Histoire narrée dans les Arcanes de Métatron, les paroles de Michaël et de Satan, et finalement sa rencontre avec cet Homme tapi dans l'Ombre... Les incohérences étaient trop importantes pour ne pas soupçonner qu'elles dissimulaient quelque chose... Mais quoi donc ? Ou bien tout simplement cherchait-il des excuses à l'ange déchu pour donner du crédit à son histoire, plutôt que de la mettre en doute ? Peut-être était-ce l'avocat en lui qui voulait à tout prix que cet « accusé » soit innocent, après avoir pris sa défense avec une telle virulence face aux autres parties qui cherchaient à le convaincre de les suivre ?

En tout état de cause, ce n'était pas le manque de sommeil qui allait l'aider à y voir plus clair, et il avait beau se répéter qu'il fallait dormir, il repoussait sans cesse le moment où il éteindrait sa lampe de chevet. Dans un coin de sa tête, il savait pertinemment qu'il se mentait à lui-même sur les vraies raisons qui l'empêchaient de sombrer au pays des songes.

Si ces mystères torturaient bel et bien son esprit, c'était la peur qui repoussait avec insistance les bras de Morphée. Une terreur presque primitive, comme celle qui devait étreindre les premiers hommes face aux ténèbres d'une nuit sans lune, d'où le danger pouvait surgir sans crier gare. Une noirceur proche de celle qu'il avait vu quand la créature avait tenté d'aspirer son âme, dans cet antre antique au cœur des profondeurs. Maners avait l'impression de retomber en enfance, quand il ne pouvait dormir sans la lueur rassurante de sa veilleuse en forme de tortue, à la différence qu'à présent, le monstre qu'il craignait était bien réel, et non le fruit d'une imagination trop fertile.

Quand son radio-réveil indiqua cinq heures du matin passées, il se décida à quitter son lit douillet pour s'installer à son bureau, où il commença une liste des choses qu'il devrait régler dans les premières heures du jour, en prévision de son départ pour la dimension de poche de Lucifer. Il avait déjà fait ses adieux à son frère, et il avait suffisamment briqué sa maison dans ses moments perdus pour qu'elle reste propre pendant plusieurs jours, mais il lui restait encore deux points à régler pour mettre ses affaires en ordre.

Son travail pour commencer. Il ne pouvait pas disparaître comme ça, du jour au lendemain, sans laisser des directives au personnel du service juridique d'Edmons & Co, afin qu'ils puissent continuer à travailler en son absence. Toutefois, il n'était pas spécialement inquiet à ce sujet, n'ayant aucun doute sur les capacités de l'équipe qu'il avait si consciencieusement mise en place à mener de front tous les dossiers qu'on pourrait leur présenter. C'était plus son second interlocuteur qui lui posait souci, et il avait beau tourner la question dans tous les sens, il ne parvenait pas à trancher sur la meilleure marche à suivre avec ce sujet délicat.

Il arriva finalement à la conclusion qu'une lettre ferait tout aussi bien l'affaire qu'un long discours, et même si c'était la solution de facilité, et surtout la plus lâche, il s'attela à l'écriture de cette missive, qui le tint éveillé jusqu'au levé du soleil, plusieurs heures plus tard. A neuf heures précises, il passa un coup de fil au service des ressources humaines pour leur annoncer qu'il prenait l'ensemble des congés-payés qu'il avait accumulés ces dernières années, ce qui représentait pratiquement deux mois pleins. Il appela ensuite James Frazier, son assistant, pour lui annoncer sa prise de congés à effet immédiat, prétextant un ordre du médecin allant dans le sens d'une reprise trop précipitée du travail, alors que son corps n'était pas encore pleinement remis de son accident et du trauma qui en découlait.

DIES IRAE - Cycle I : L'AngicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant