Acte V, 12e Épître - Le chemin qui s'ouvre à lui

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« - Père m'avait mis en garde contre les tortures psychologiques auxquelles je m'exposais, et je puis t'assurer qu'Il n'avait rien exagéré. Pendant ces siècles d'errance dans le néant, j'ai perdu toute notion de temps et de conscience de moi. Je n'avais plus aucune sensation, à cause de l'absence de pesanteur et de gravité, et j'ai été contraint de me plonger dans un état méditatif profond pour conserver un soupçon de santé mentale. Et durant toutes ces années enfermées, je n'ai jamais croisé la route de celui que je désirais garder à l'œil. Je ressentais confusément sa présence oppressante, mais il est toujours resté hors de ma portée...

- Comment êtes-vous parvenu à vous enfuir ? demanda Ben, pendu aux lèvres du Minotaure.

- C'est bien là toute la question, petit : je ne me suis pas échappé. Un jour, brutalement, j'ai été expulsé hors du Kokytos, ou devrais-je dire Cocyte selon votre dialecte, et précipité sur ton monde. Il n'y eut aucun signe avant-coureur, pas de frémissement dans les énergies qui m'enveloppaient. J'étais dans le noir, et l'instant d'après, une lumière vive brûlait mes paupières, et une chaleur intense fouettait mon pelage alors que je traversais l'atmosphère d'Eden. J'ai cru mourir quand j'ai heurté à pleine vitesse une étendue d'eau, et j'ai dû rassembler le peu de force qui demeurait dans mes muscles atrophiés pour m'extirper de cette onde mucilagineuse. Quand j'ai atteint la surface, j'ai vu une immense cité au loin, et une épaisse fumée noirâtre s'élevait d'une énorme passerelle de métal en flamme...

- Attendez une seconde. Vous êtes en train de me dire que vous êtes arrivé sur Terre le jour de l'accident du pont de Brooklyn ?! Ce n'est quand même pas vous qui l'avez détruit !?

- J'étais totalement désorienté lors de ma chute, donc je ne peux jurer de rien, mais je ne me souviens que de mon contact avec les flots au large de la ville que vous nommez New² York. Et je doute que vos « ponts » soient si fragiles qu'on passe à travers aussi facilement que l'on coupe la toile d'un arthropode... »

Maners ne put qu'acquiescer, bien que cette révélation l'ait totalement chamboulé. Et si la boule de feu que Mary-Ann avait vu dans le ciel ce jour-là n'était autre que Lucifer pénétrant dans l'atmosphère terrestre ? Il devait en effet reconnaître qu'il avait toujours douté que cette lueur dans le ciel ait été responsable de l'explosion. La trajectoire ne correspondait pas, et il aurait fallu une action consciente pour que l'objet change aussi drastiquement de direction, ce qui ne collait pas avec le récit de l'ange déchu. Toutefois, il avait lui-même admis que son histoire était sujette à caution sur certains points, donc pouvait-il vraiment le croire quand il disait ne pas avoir percuté le pont dans sa chute ?

« - Quoiqu'il en soit, encore étourdi que j'étais par l'impact, je compris rapidement qu'il se passait quelque chose d'anormal. Si ma libération avait été le fait de Père, pourquoi ne m'avait-il pas ramené au Palais ? A moins que quelque chose ne se soit opposé à mon retour dans la demeure familiale ? Dans le doute, je décidais de me réfugier dans un de mes vortex, le temps de reprendre mes esprits et de récupérer des forces. J'ai tenté de voir ce qu'il advenait de mes frères et sœurs dans le Domaine céleste, mais je ne parvins pas à y accéder. En désespoir de cause, je me rabattais donc sur l'observation des activités humaines, en me focalisant sur la cité près de laquelle j'avais échoué. J'étais curieux de voir comment avaient évolué les primates qui avaient tant enthousiasmé Père. Et pour être honnête, vous êtes plutôt décevants, petit ! Si je devais vous décrire, je dirais que vous êtes des enfants gâtés et égoïstes, obnubilés par vos besoins primitifs plutôt que mus par une volonté commune d'élévation spirituelle. En somme, pas grand-chose à sauver. Mais dans cette nuée d'âmes aussi puériles les unes que les autres, j'ai été attiré par une oscillation spirituelle comme je n'en avais plus connu depuis des lustres. C'était le choc entre ton énergie et celle de cet ange que tu as tué. Je dois dire que j'ai été impressionné par un tel dégagement de puissance ! Tu m'as dit ne pas avoir été conscient pendant cet échange fatal, mais cela ne me surprend guère. Vous autres, humains, n'êtes pas taillés pour supporter un pic de force spirituelle comme le sont les êtres angéliques. Et pourtant, au fil des escarmouches, et sans entraînement en bonne et due forme, tu es parvenu à déployer une énergie de plus en plus étonnante. Ton affrontement avec le dénommé Leliël était d'ailleurs magistral !

DIES IRAE - Cycle I : L'AngicideWhere stories live. Discover now