Chapitre 1

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ASSIS SUR UN SIÈGE, William Voltaire observait par la fenêtre tante Marguerite faire de grands mouvements de bras sur le quai, se demandant comment, depuis maintenant dix-sept ans, il avait réussi à tenir à chaque vacances d'été, pendant deux longs mois. La voisine de William se leva, tenant à la main un grosse cage en fer abritant un vieux et grincheux chat noir qui, tout le long du trajet, l'avait lorgné de ses affreux yeux jaunes et globuleux. William eut un petit sourire satisfait quand la femme disparue complètement de son champ de vision, et se releva de son siège à contrecœur, son archaïque sac de cuir à la main et sa grosse valise contre lui.

Avant que William ne descende les quelques marches du train qui le séparaient de tante Marguerite et de sa ferme, un contrôleur à l'allure bourrue vérifia si le ticket du jeune homme était bien valide, et malheureusement pour Will, il l'était bel et bien.

Will descendit du wagon en soupirant, et, les épaules voûtées, la mine morose, rejoignit tante Marguerite qui se dépêcha de courir vers lui pour le couvrir de baisers baveux.

- Mon chéri ! Je t'attendais avec impatience ! S'exclama Tante Marguerite en arrachant des mains le sac de William, le calant sous son épaule.

Tante Marguerite était une femme d'âge mûr, à la carrure plutôt masculine à cause du travail de la ferme. De petites rides résidaient à côté de ses petits yeux bruns légèrement bridés, ainsi que deux adorables fossettes aux coins de sa bouche fine et gercée. Une chevelure brune et emmêlée encadrait son visage bronzé, à l'inverse de William, qui possédait un teint aussi blanc que ses somnifères.

William grimpa dans la vieille camionnette bleue de sa tante - qui était plus une épave qu'autre chose - et balança tristement sa tête en arrière contre l'appuie-tête, pensant aux vacances moroses qu'il allait passer à la ferme à réviser pour sa dernière année de lycée, sur le vieux banc près de la fontaine du village.

Tante Marguerite se jeta dans sa voiture - plus joyeusement que Will - et actionna la camionnette qui démarra dans un affreux grincement de ferrailles et de fumée noire.

L'énorme chien gris qui se trouvait à l'arrière du véhicule se mit à lécher le visage du pauvre Will, qui ferma les yeux, s'imaginant déjà retourner à Paris retrouver Violette et Paul, ses meilleurs amis qui lui manquait déjà terriblement. Même les cours de mathématiques de Mme. Denis étaient moins barbants que de devoir passer tout l'été chez son unique tante, dans une vieille ferme puante et triste.

Pendant tout le trajet, Tante Marguerite ne cessait de parler à Will du prix de la plus belle volaille qu'elle venait de gagner dimanche après-midi, et des funérailles grotesques de Marie Fitzerald - la vieille commère du village - qui avait succombé d'une crise cardiaque, même si Tante Marguerite était persuadée que c'était les ragots qui l'avait rendu malade, à cause de tout le mal qu'elle avait fait, et qu'elle avait finit par le payer.

William retint un petit rire, et fut presque déçu d'apercevoir la vieille ferme en pierres se dessiner à l'horizon. Will sortit de la camionnette pour aller ouvrir le portail rouillé, et la camionnette s'engagea dans l'allée de graviers dans un crissement de pneus.

Tante Marguerite sortit de la voiture, et lança à Will son sac en cuir, qu'il rattrapa de justesse. Au lieu de partir suivre sa tante jusqu'à la maison où l'attendait sa petit chambre aux murs blancs ornés d'énormes et immondes fleurs oranges - que William avait désespérément essayé de cacher avec des posters que son ami Léon lui avait donné en échange de quelques vieilles cassettes - il se rendit dans la petite cour qui donnait accès sur l'immense jardin où se trouvait: des poules qui le regardaient avec insistance, quelques vaches puantes, et un vieux chien gris joueur.

Léon, un des rares amis de William du village, avait vu par la fenêtre de sa chambre la camionnette de Tante Marguerite revenir de la gare, et il s'empressa donc de quitter sa petite maison bleue pour rejoindre William. Étant les voisins les plus proches de la ferme, il escalada le grillage qui le séparait de William, et retomba lourdement sur le sol en lâchant un: Aïe ! sonore que William entendit depuis l'enclos des vaches.

Léon s'approcha de William le plus discrètement possible, avant de lui bondir dessus en poussant un cri de guerre digne des plus grands indigènes.

William, habitué à son ami et à son étrange façon de saluer, fit mine d'être effrayé en simulant un hurlement strident qui fit bondir le pauvre chien qui somnolait près de lui. Léon, fier de sa blague, s'assit à côté de William sur le gazon en sortant un paquet de cigarettes à la fraise. Il en tendit une à Will, en sachant pertinemment que celui-ci ne fumait pas.

- Des cigarettes à la fraise ? Sérieusement, Léon ? Rigola le brun en repoussant du doigt le rouleau rose qui sentait affreusement mauvais.

- C'est Camille qui me les a achetées. Elle affirme que ce sont les meilleures que Mme. Ulysse vend. Même si je suis quasiment sûr qu'elle se fout de moi. Répondit Léon en allumant sa cigarette.

William fronça les sourcils.

- Camille Martin est ici ? Demanda t-il, surprit, se bouchant le nez pour essayer de respirer le moins possible la fumée rosée du tabac à la fraise.

- Apparemment, elle est ici depuis que sa mère est morte... Bordel ! Ce truc est immonde... Camille assure que sa mère ne lui manque pas plus que ça, mais, la dernière fois, je l'ai vu pleurer sur un banc... Six euros pour cette infamie ? Le monde ne tourne pas rond... Expliqua Léon en tirant une dernière taffe de sa cigarette avant de l'écraser par terre, bougonnant contre Camille.

William s'allongea par terre en regardant le ciel bleu complètement dégagé, repensant à Camille, la petite fille de huit ans qui jouait au ballon avec lui tous les étés, avant qu'elle ne parte à Marseille avec sa mère lors du divorce de ses parents.

- Léon Wolf ! Reviens ici tout de suite ! Tu n'as même pas fini ta corvée de linge ! Il te reste les culottes à laver, espèce d'enfant ingrat ! Lui cria sa mère depuis le seuil de sa terrasse, ses deux petits poings potelés contre son tablier rose impeccable.

- Bienvenue à St-Louis, mon pote ! Ironisa Léon en cachant son paquet de cigarettes à l'intérieur de son jean et de partir en courant chez lui, escaladant de nouveau le grillage, sans tomber cette fois-ci.

Soleil d'étéWhere stories live. Discover now