Chapitre 2

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TANTE MARGUERITE ÉTAIT ASSISE sur une vieille chaise à bascule, occupée à tricoter un bonnet d'un vert atroce. William, quant à lui, était allongé sur son vieux lit grinçant, écoutant une musique des Beatles à fond sur le nouveau post radio que son père lui avait offert pour son anniversaire. Mains derrière la tête, il essayait d'imaginer Camille plus vieille. Il se demandait si elle avait toujours ses énormes lunettes rondes aux montures métalliques, et de grands yeux bruns curieux. Il se demandait si elle s'habillait encore avec des salopettes trop grandes pour elle. Et il se demandait surtout si elle avait toujours sa lueur rebelle qui brillait dans ses yeux.

Tante Marguerite eût enfin fini de tricoter son horrible bonnet, et le laissa traîner sur la petite table du salon, avant de partir vers la cuisine pour enfiler un tablier troué et taché de graisse. William éteignit son poste radio quand Camille eût complètement disparue de ses pensées, et rejoignit tante Marguerite dans la cuisine.

- Une omelette aux haricots, ça t'ira Will ? Colette et Gertrude n'ont pondu que quatre œufs aujourd'hui. Soupira Marguerite en cassant un oeuf bien rond dans un saladier entièrement recouvert de roses et d'autres fleurs que William était incapable d'identifier.

William n'avait jamais vraiment écouté lors des sorties en forêt en cours d'SVT où M. Thessein répétait inlassablement le nom de chaque plante présente dans les bois. Il préférait bien plus écouter les leçons sur les accords du participe passé en français, où étudier la vie de Napoléon en histoire, plutôt que celle sur des plantes ennuyeuses qui se ressemblaient toutes.

- Oui, parfait. J'adore les omelettes. Répondit distraitement Will en cherchant sa veste des yeux qu'il pensait avoir mise sur le porte-manteaux, mais qui c'était soudainement volatilisé.

William la trouva enfin par terre, en-dessous de la chaise du petit bureau de Marguerite. Il la saisit, avant d'enfiler rapidement ses vieilles baskets et d'ouvrir la grande porte d'entrée qui semblait pouvoir s'écrouler à tout moment, comme le reste de la ferme. En s'enfonçant dans l'allée, il bouscula un grand homme au crâne légèrement dégarni, à la carrure plutôt imposante, vêtue d'un léger costume bleu et blanc. William s'excusa précipitamment, et referma le portail derrière lui.

Le jeune homme s'arrêta enfin de marcher quand il se retrouva en face de la fontaine de la place du village. Will avait l'habitude de s'y assoir pour écouter la cassette que sa mère lui avait offert avant de mourir. Dès que ses crises de panique revenaient, il l'allumait, et, comme par magie, les battements de son cœur se calmaient. Il s'installa sur le rebord en pierre, et sortit de sa poche la petite cassette de compilations que sa mère et lui écoutaient dès que le cœur de celle-ci faiblissait.

La première musique démarra, et William sentit son cœur se calmer doucement, note après note. Le visage de sa mère apparut devant lui, et William ferma les yeux quelques instants, avant que quelqu'un ne l'arrache brusquement à sa rêverie d'une tape sur l'épaule.

William retira précipitamment son casque, et éteignit son lecteur cassettes qu'il remit soigneusement dans sa poche. En face de lui se trouvait une grande fille aux cheveux crépus d'un noir de jais, à la peau caramel qui semblait aussi douce que les nuages, et de grands yeux bruns où brillait une lueur rebelle. Elle serait encore plus jolie si son nez ne cherchait pas à tout prix à s'échapper de son visage.

- Je rêve ou c'est le petit William Voltaire qui se trouve devant moi ? Enfin pas vraiment si petit, mais tu m'as compris non ? Tu me comprenais toujours, quand on était petits...

Camille se tut soudain, les mains tremblantes. Elle s'assit à côté de William, et resta muette jusqu'à ce que Will retrouve l'usage de la parole.

- Je suis désolé pour ta mère. Dit finalement William, qui regretta ses paroles aussitôt.

Camille éclata d'un rire cynique, avant de regarder Will dans les yeux qui la dévisageait. Elle évita soigneusement de le regarder dans les yeux.

- Oh... Ça fait rien... Murmura Camille en sortant un paquet de cigarettes, mais, cette fois-ci, pas au goût fraise.

Elle en sortit une, et l'alluma en soupirant de soulagement quand la première bouffée de fumée s'infiltra dans ses poumons. Camille est belle, fût la seule pensée qui traversa la tête de Will à ce moment-là. Ses yeux rebelles étaient remplis d'une mélancolie indescriptible.

- Tu es toujours aussi bavard à ce que je vois, Voltaire. Ricana Camille en tapotant sa cigarette pour en faire tomber quelques cendres.

William eût un demi-sourire.

- Tu ne devrais pas fumer. C'est super mauvais pour tes poumons tu sais. Ajouta simplement William, ne sachant pas quoi dire d'autre.

Camille le regarda avec cette petite lueur espiègle et curieuse. Elle écrasa son mégot par terre, et croisa ses bras sur sa poitrine.

- Peut-être que oui, peut-être que non. Mais après tout, on s'en fout non ? On va tous mourir à un moment où un autre. Alors ce bousiller les poumons n'est qu'une petite chose parmi tant d'autres. Rétorqua la jeune femme en fermant et ouvrant machinalement le paquet blanc et rouge renfermant de toutes petites choses mortelles.

Après ça, William garda le silence. Il avait oublier que Camille était si spéciale. Différente des autres, à l'inverse de Will, qui n'était autre qu'un garçon banal aux cheveux bruns, aux yeux verts légèrement bridés et une bouche un peu trop fine pour être jolie. Ennuyeux en tout point.

Camille passa une main dans ses cheveux crépus, avant de se lever du rebord en pierre et de remonter sur son vieux vélo rose couverts d'autocollants aux slogans féministes. Elle salua prestement William d'un signe de la main, et partit de la place de la mairie aussi vite qu'elle était arrivée, abandonnant Will à ses pensées, qui se leva à son tour du rebord de la fontaine et partit en courant chez Tante Marguerite, se rappelant soudainement que c'était l'heure du dîner, et qu'il mourrait de faim.

Soleil d'étéWhere stories live. Discover now