Chapitre 7

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WILLIAM S'ASSIT SUR LE BANC qui se trouvait juste en face du poulailler où les coqs et poules piaillaient. Depuis hier, ses pensées ne tournaient qu'autour de Camille et de ses bleus.

La rumeur disait que si Camille était couverte de cicatrices, c'était qu'elle s'amusait à grimper dans les arbres en haut des falaises de la Vache Noire, où elle fumait en cachette pendant des heures. Seulement, William ne croyait jamais les rumeurs qui couraient dans les rues de St-Louis. Chaque fois qu'une histoire était révélée au grand public, chaque bouche déformait un peu plus l'histoire.

Il observait Marguerite qui s'affairait dans le jardin, arrosant un buisson de roses par-ci, arrachant des mauvaises herbes par-là. À ce moment-là, il aurait voulu que Léon et sa bonne humeur le rejoignent pour lui changer les idées. Il repensait aux bleus, à sa fuite, à Camille. À sa jolie chevelure sauvage, son nez trop long et trop pointu, et ses immenses yeux bruns. Hier soir, il avait remarqué un minuscule tatouage à l'intérieur du poignet droit de Camille: une jolie colombe au plumage d'un blanc étincelant, à l'aile gauche blessée et sanglante, ainsi que l'aile droite, se dressant fière et droite.

William se replongea dans la lecture de son roman, essayant d'oublier l'image de cette fille à la peau caramel. Et même si la lecture était extrêmement divertissante - Juliette penchée par-dessus son balcon, écoutant amoureusement Roméo lui sortir toute une liste de mots romantiques et compliqués - ce n'était vraiment pas le livre à lire en ce moment même.

- William, mon chéri, tu ne voudrais pas aller te promener un peu dehors ? Tu es resté assis ici pendant des heures. Soupira Tante Marguerite, retirant ses gants de jardinage, tirant Will de ses pensées. Et je doute que me regarder à planter des courgettes soit quelque chose de très divertissant.

- Je me sens bien, ici...

À sentir l'odeur de bouse de vache... Pensa-t-il en cornant la page de son livre, avant de le fermer et de le poser à côté de lui.

Marguerite haussa les épaules avant de repartir s'occuper, et d'épousseter sa salopette pleine de terre. Finalement, à force de lire et relire le passage du balcon sans rien n'y comprendre, Will se releva et enfourcha son vélo pour se rendre sur la place du village. Pas un seul nuage ne venait assombrir le ciel d'un bleu azur. Tous les habitants semblaient de bonne humeur, saluant William d'un signe de main ou de tête, qui filait à toute allure dans les rues sous le soleil d'été éclatant. Sa chemise lui collait à la peau, et la bonne humeur des passants qui aurait dû lui rendre le sourire produit l'effet inverse. Avec ses grosses cernes sous les yeux, sa peau blanche qui ne bronzait pas, et ses cheveux bruns en bataille, William ressemblait plus à un zombie qu'à un touriste joyeux faisant une balade à vélo.

Depuis ce soir-là, ses crises de panique n'avaient cessé d'augmenter. Son cœur semblait s'arrêter un instant, comme si une main invisible venait l'étouffer puis le mettre en cage. William aurait voulu crier chaque fois que ça lui arrivait. Exprimer sa rage de se sentir aussi minable et inutile. Il voulait hurler et crier qu'il existait. Seulement, peu importe qu'il se déchire la voix, que son coeur arrête de battre, il resterait ce William ennuyeux et prévisible.

Quand il vit la fontaine à quelques mètres de lui, il laissa tomber son vélo sur les pavés, et s'assit comme à son habitude sur le rebord humide et accueillant. Mais alors qu'il s'apprêtait à laisser enfin couler les larmes qu'ils repoussaient depuis trop longtemps déjà, la voix apeurée de Camille retentit entre les murs des maisons colorées.

C'était sûrement son imagination qui lui jouait des tours. Après tout, à cause de ses insomnies qui n'en finissaient pas, il ne savait plus vraiment distinguer le vrai du faux. Et pourtant, cette voix, la voix de Camille, lui semblait bien plus réelle que celle de sa mère qui venait le hanter dans ses rêves. Il tourna la tête, à la recherche de cette voix. Et c'est là qu'il la vit. Entourée de garçons qui ricanaient, s'amusant à lui toucher la poitrine et les fesses. Et parmi eux se trouvait Eliott Cadbury.

William resta figé sur place, son cœur battant si fort que tous les continents devait entendre chaque battement. Camille semblait elle aussi s'être figée. Elle ressemblait à une de ces statues du Louvre, mélancolique et pétrifiée. Ses yeux semblaient s'être éteints, sa voix s'était tue. Plus rien ne la perturbait, à présent. Elle n'était qu'un pantin, dont Eliott tirait les ficelles.

Pris d'un soudain élan de courage - ou de peur - William s'avança vers le groupe de garçons qui continuaient de s'amuser.

- Lâchez-la ! Laissez-la tranquille ! Hurla le jeune homme en brandissant ses bras par-dessus sa tête pour que tout le monde puisse le voir.

En un instant, tous les acolytes d'Eliott se stoppèrent pour voir qui s'était dressé contre eux. Et quand ils virent William, leur fou rire redoubla d'intensité. Ils se mirent à le pousser, à le frapper. William sentit ses jambes se dérober sous lui. Sa vision se brouilla quand il éprouva une douleur fulgurante dans le nez. Il reconnut bientôt le goût poisseux et métallique du sang dans sa bouche, et, alors qu'il s'apprêtait à partir pour de bon, une voix claire se fit entendre par-dessus les rires moqueurs des garçons:

- CASSEZ-VOUS, BANDE D'ENFLURES!

Le bruit de pas de course et de vélo se fit bientôt entendre. À présent, plus personne ne rouait William de coups. La dernière phrase qu'il entendit au-delà du sifflement strident dans ses oreilles, fût l'affreuse voix d'Eliott:

- J'aurai ta peau un jour, sale pédale !

Et William tomba dans un trou noir qui ne faisait que l'enfoncer un peu plus chaque seconde dans les entrailles du vide.

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