Chapitre 11

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WILLIAM FÛT RÉVEILLER par le chant du coq, à l'aube. Cette nuit, il n'avait presque pas réussi à dormir, après ce court échange sous la pluie avec Camille. Il se leva de son lit, encore chancelant après les médicaments préventifs que le docteur Allan lui avait donnés, et chercha distraitement des affaires à enfiler pour descendre dans la cuisine, prendre son petit-déjeuner.

Après avoir revêtu son léger pantalon brun et un pull tricoté par Marguerite, il se rendit directement dans la cuisine. Il n'avait aucune envie que sa tante ne l'agresse de questions pour savoir comment il se sentait, et s'il avait bien dormi malgré les vertiges d'hier. William se servit un bol de céréales, regrettant presque les délicieux oeufs brouillés de Tante Marguerite.

Le jeune homme mangea ses céréales en silence, regardant les aiguilles de l'horloge s'égrener avec une lenteur sans pareil. Il était épuisé, ses nerfs à fleur de peau. Son cœur lui faisait encore un peu mal, et il se demanda si celui-ci sans remettrait un jour.

Il resta quelque temps assis sur sa chaise à observer le bol en porcelaine vide en face de lui. William se leva enfin, et déposa son bol dans l'évier qu'il remplit d'eau, avant de le laisser et de remonter dans sa chambre lire Roméo et Juliette qu'il avait laissé depuis trop longtemps sur sa table de chevet. Au fur et à mesure qu'il avançait dans sa lecture, ses pensées s'attardaient chaque fois plus longtemps sur Camille. Il recréait cette scène, ce pacte, sous la pluie. Ils s'étaient échangé seulement quelques paroles, mais chaque mot signifiait la confiance qu'ils s'accordaient l'un à l'autre.

Quand William relu la même phrase quatre fois - sans rien y comprendre- il décida d'aller faire un tour au village. Comme son ventre criait famine, il descendit dans la cuisine se préparer un sandwich avec la viande du poulet que Marguerite venait d'abattre, la salade et les tomates du potager, et la délicieuse mayonnaise que sa tante avait préparé pour le repas de ce soir. Il mit le tout dans un sac à dos usé qui traînait sous la console d'entrée, et cria à Marguerite qu'il sortait.

Comme son vélo était resté sur la falaise le jour de son attaque cardiaque, il descendit au village à pied. Le soleil tapait, et William s'accroupit quelques minutes sous un vieux chêne pour reprendre son souffle. Il avait oublié de prendre une bouteille d'eau, et le regrettait amèrement. Après un pénible quart d'heure de marche, les jolies maisons et commerces colorés de St-Louis se dessinèrent à l'horizon. William essuya de son avant-bras la sueur qui perlait son front.

En s'asseyant sur le rebord en pierre de la fontaine de la place du village, il espéra secrètement que Camille arrive, et s'assoit à ses côtés. Aucun des deux n'aurait eu besoin d'échanger une seule parole. Leur simple présence aurait pu exprimer tous leurs maux, sans prononcer un seul mot. Il alluma son lecteur cassettes, et choisit Goodbye Yellow Brick Road d'Elton John. Il avait l'habitude de l'écouter  après l'école, quand les brutes de sa classe s'amusaient à lui crier à longueur de journée que sa mère mourrait bientôt. C'était le seul moment de la journée où il échappait aux douloureux instants de la vie, que ses cicatrices s'ouvraient enfin pour déverser un flot de colère et de tristesse. Parce que les hommes ne pleurent pas, lui répétait sans cesse son père.

William resta longtemps assis sur le rebord de la fontaine, les musiques de sa cassette défilant à toute vitesse. Il resta deux heures, peut-être trois, voire quatre. Et quand sa playlist se termina, le soleil commençait doucement à se coucher. Et, alors qu'il s'apprêtait à repartir chez Marguerite, il vit Camille sortir de la poissonnerie en fermant le store de la boutique. Elle tourna la tête, et vit William. Un sourire se dessina lentement sur son visage. William hésita à venir la voir, puis se dirigea vers elle, la tentation beaucoup trop forte pour repartir à la ferme.

- Allons voir le coucher de soleil. Proposa Camille, cache.

William voulut accepter, puis se rappela qu'il n'avait plus de vélo, celui-ci étant resté sur la falaise le jour de l'accident.

- J'ai plus de vélo. Répondit Will, une pointe de tristesse dans la voix.

Camille éclata de rire, faisant froncer Will des sourcils. Une lueur malicieuse étincela dans les yeux bruns de Camille. La jeune femme pointa du doigt la boutique de vélos de M.Simon.

- C'est juste un emprunt. Dit Camille en se dirigeant d'un pas fier et sûr vers les vélos de ville accrochés à de gros poteaux, tous reliés par une épaisse corde en plastique, sécurisés par un gros cadenas fermement verrouillé.

William hésita pendant quelques secondes. C'était la première fois qu'il s'apprêtait à faire une chose comme ça. Mais après tout, qu'avait-il à perdre ? Il ne reviendrait sûrement plus dans ce bled pourri, de toute façon.

Camille sortit de sa poche arrière de jean une petite clé argentée, et déverrouilla le gros cadenas. La corde s'affaissa doucement, et Camille saisit un des vélos flambants neufs, avant que toute la rangée de bicyclettes tombe. Les vélos tombèrent les uns sur les autres, et Camille éclata de rire une nouvelle fois. Ce petit son mélodieux déchaîna le cœur de William. Seulement, celui-ci ne lui faisait pas mal. C'était même une sensation plutôt agréable. On aurait dit que ce rire aurait pu, pendant quelques instants, soigner tous ses maux.

William monta sur son vélo après avoir aidé Camille à ranger et accrocher tant bien que mal les bicyclettes sur leurs poteaux respectifs

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William monta sur son vélo après avoir aidé Camille à ranger et accrocher tant bien que mal les bicyclettes sur leurs poteaux respectifs. Sans un mot, et le sourire aux lèvres, ils zigzaguèrent dans les rues, passant devant maisons et commerces aussi colorés les uns que les autres, leurs devantures donnant l'impression d'avoir passé la tête dans un arc-en-ciel aux mille couleurs.

Le vent dans les cheveux, les deux adolescents semblaient voler, leurs ailes blessées d'éployées à nouveau. Camille rapprocha son vélo de celui de Will, et lui tendit une main hésitante. William attrapa celle-ci d'un rapide mouvement, comme si serrer la main de Camille dépendait de sa survie. Un large sourire niais apparut sur le visage de Will. C'était si dégoulinant d'amour et de tendresse que Léon en aurait vomi. Et Judith, elle, aurait attendu avec impatience un baiser volé sous le ciel orangé et carmin, le soleil se couchant en arrière-plan. L'âme de poète caché de Victor aurait défini cette scène avec tout un tas d'adjectifs compliqués. Et Tante Marguerite aurait simplement souri, fier de son neveu.

Soleil d'étéWhere stories live. Discover now