Chapitre 12

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SUR LE CHEMIN DU RETOUR, William et Camille roulèrent en silence. Le ciel noir, strié de petits points blancs, leur offrait un calme apaisant et libérateur. Les adolescents n'échangèrent pas non plus une parole quand ils remirent à l'aveugle les vélos de M. Simon. Et quand William s'apprêta à partir en adressant un sourire à Camille, les gyrophares d'une ambulance éclairèrent la nuit noire. Le son strident de l'alarme vrillait les tympans de William, et Camille pâlit quand l'ambulance se stoppa nette devant une maison que William et Camille connaissaient bien : celle de Victor.

William fronça les sourcils. Camille s'avança prudemment jusqu'à l'ambulance, suivi de près par Will. En se rapprochant, le jeune homme aperçut la mère et le père de Léon, pleurants à chaudes larmes, avec à leurs côtés, la mère de Victor, les yeux dans le vague, tremblante et fragile. Si fragile qu'au moindre petit coup de vent, celle-ci aurait disparu dans l'obscurité. Camille jeta un coup d'œil angoissé à William. Celui-ci haussa les épaules, une lueur inquiète au coin de ses yeux bruns. La jeune femme se risqua à aller à la rencontre d'un jeune brancardier occuper à désinfecter le sol du véhicule. 

- Bonsoir monsieur, je suis la voisine de Victor. Victor Lefèvre. Et je voulais savoir... Elle refoula les larmes qui lui montaient aux yeux. Je voulais savoir ce qu'il c'était passé. 

Le brancardier déposa son désinfectant et son chiffon sur le sol en métal de l'ambulance, et fixa Camille derrière ses grosses lunettes rondes. 

- Y'a deux pauv' gosses qui s'ont faits tabasser. Apparemment, ils s'embrassaient ou chai pas trop quoi. 

Camille se couvrit la bouche de sa main gauche quand elle vit deux ambulanciers sortirent de la maison, soulevant une civière. Allongé dessus, il y avait un corps ensanglanté, inconscient, recouvert de plaies et de bleus. Le corps de Léon. Et bientôt, une autre civière lui suivit, transportant le corps abîmé de Victor.                   

William, Camille et Marguerite attendaient depuis maintenant deux heures dans la salle d'attente de la minuscule clinique du village voisin de St-Louis, St-George-La-Croix

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William, Camille et Marguerite attendaient depuis maintenant deux heures dans la salle d'attente de la minuscule clinique du village voisin de St-Louis, St-George-La-Croix. Dehors, la nuit n'avait plus son aspect rassurant et merveilleux. Elle paraissait froide, vicieusement, inquiétante et dénuée de toute vie.

Par la grande fenêtre, à travers les épais barreaux de fer, William s'occupait à compter les quelques étoiles dans le ciel ébène, quand un petit médecin chauve et grassouillet, dont la blouse blanche semblait sur le point d'éclater au niveau de son ventre, appela Tante Marguerite. Après de longs échanges avec le docteur, William, Camille et Marguerite se retrouvèrent aux chevets de Léon et Victor. Victor regardait tristement par la fenêtre les feuilles des arbres s'agiter doucement au rythme du vent. Léon, lui, ne sembla même pas remarquer l'arrivée de ses deux amis. Son visage était affreusement tuméfié: les yeux au beurre noir et rouge sang, le nez tordu recouvert d'un gros bandage, et deux dents cassées que le dentiste de la clinique avait essayé tant bien que mal de réparer. Victor, quant à lui, avait les deux côtes cassées, l'épaule tordue, et le cœur brisé.  

- J'aimerais tellement être normal. Souffla Léon, grimaçant de douleur quand il essaya de se redresser, ayant enfin remarqué la présence de ses visiteurs. 

Victor se crispa. William remarqua une discrète larme couler sur la joue gonflée de celui-ci, et son cœur se serra instantanément. 

- Pourquoi n'es-tu pas normal, Léon ? Demanda Camille, mâchouillant l'ongle de son pouce, haussant légèrement un sourcil.

- J'aime les garçons. Murmura le garçon, si bas que William eut du mal à comprendre la phrase.

William resta muet face à ces aveux. Léon gay ? Comment n'avait-il pu ne pas le remarquer ? Les éclipsements soudains avec Victor à la fête, les soi-disant sorties avec sa famille... Quand William faillit répliquer, il fut coupé de court par Marguerite:

- Le fait d'aimer quelqu'un n'est pas anormal, Léon. Peu importe son sexe, sa couleur de peau, sa nationalité. Aimer quelqu'un n'est pas une honte, et n'en sera jamais une. Aimer un garçon quand nous en sommes un n'a rien d'étrange ou de bizarre tu sais.

D'une main tremblante, Tante Marguerite sortit de la poche de sa salopette un petit cliché plié en quatre. Elle la remis entre les mains abîmés de Léon, et un silence pesant s'abattit dans la pièce. Toutes les personnes réunies ici n'osaient pas parler, de peur de tout gâcher. Et bientôt, Léon éclata en sanglots. Son nez se mit à saigner, mais le jeune homme s'en fichait complètement. Il ne semblait même pas sans être aperçu. La photo s'échappa des mains de Léon, et, portée par un léger courant d'air, partit se déposer devant les pieds de William. Il hésita quelques secondes à la ramasser, avant de la déplier et de l'observer. 

La photo était en noir et blanc. Dessus, Tante Marguerite dans une belle robe courte en flanelle, souriant à l'objectif. Elle tenait la main d'une grande femme vêtue d'un élégant tailleur sombre. Désormais, William savait pourquoi Tante Marguerite n'avait jamais eu d'enfants, et ne s'était pas non plus marié avec un homme comme son frère et son père l'aurait souhaité. 

- Tu ne dois pas t'empêcher de vivre heureux, Léon. Et peu importe le regard et les critiques des autres, personne n'a le droit de s'opposer à l'amour. Pas même Dieu ou Cupidon. Ne fini par ta vie dans le regret et la solitude, comme moi je l'ai fait. Clama Marguerite, le torse bombé, de grosses larmes dégoulinantes sur ses joues.

Elle marqua un tant d'arrêt, avant de continuer :

- J'aurais pu me marier avec Maribelle, et vivre heureuse. Mais j'avais honte. Honte du regard de ma famille, honte du regard de mes amis. Honte du regard de William. Et Maribelle est partie.

William n'osait plus respirer.

- J'aurais tellement aimé que tout se passe différemment. Que les drapeaux multicolores se dressent fièrement dans le ciel, que les hommes et les femmes ne nous regardent plus avec dégoût, que nous soyons acceptés et que nous ne vivions plus dans la peur de se faire frapper et humilier nuit et jour. 

- Eliott devra payer pour ce qu'il a fait. Dit soudain William, la voix et le regard grave.

- Son père a tous les flics dans la poche. Il n'hésitera pas à leur glisser discrètement un petit billet dans la poche. Rétorqua Camille, baissant les épaules, ne sachant pas quoi faire.

Seulement, ce n'était pas juste inutile d'accuser Eliott sans preuves, mais dangereux pour Camille, qui avait essayé de le tuer il y a quelques semaines. Celui-ci n'hésiterait pas à accuser Camille, sous la protection de la police qui vouait un véritable culte à sa famille. Et si Camille se faisait arrêter, William tomberait avec elle dans ce tourbillon noir et gelé de regrets et de mensonges. 

Soleil d'étéWhere stories live. Discover now