Chapitre 6

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WILL PRIT GRAND SOIN de ne pas garer la voiture de Camille dans l'allée, pour éviter de réveiller Marguerite. Il était minuit passé quand le jeune homme réussit enfin à faire descendre tant bien que mal Camille du véhicule. Il maudissait intérieurement Léon pour avoir disparu en plein milieu de la soirée, et de l'avoir laissé seul dans un endroit qu'il ne connaissait pas.

Camille s'était endormie sur la banquette arrière. Pendant tout le trajet, elle n'avait pas arrêté de répéter les mêmes mots. William cessa de respirer quand il franchit le seuil de la porte avec Camille dans ses bras. Ne trouvant Marguerite nulle part, il se remit à respirer, et monta à pas de loup à l'étage. Mais il n'avait pas du tout prévu que Camille glisse de ses bras, et tombe d'une marche, sa tête cognant contre le bois.

William réfléchit à toute allure quand il entendit une porte s'ouvrir, et un interrupteur s'actionner. Il reprit Camille par la taille, se dépêcha d'entrer dans la chambre d'amis et de la déposer sur le lit, avant de fermer la porte, croisant les doigts si fort que ses jointures en devinrent toutes blanches. Devant l'ouverture, les jambes en coton et le coeur battant à mille à l'heure, il retint son souffle quand les pas de Marguerite retentirent dans les escaliers en bois, le clap-clap de ses chaussons faisant accélérer les battements du cœur de Will. Et quand sa tante se retrouva juste en face de la porte, le cri aigu d'une poule retentit dans la nuit noire. Marguerite relâcha la poignée en jurant, et partit rapidement en direction du jardin.

- Encore ce fichu renard... Cracha-t-elle.

Et William ferma les yeux en reprenant sa respiration.

Le chant du coq réveilla Will en sursaut

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Le chant du coq réveilla Will en sursaut. Il enfonça sa tête dans l'oreiller, et essaya de se rendormir, avant que quelque chose de chaud et légèrement rugueux ne vienne lui toucher le bras. Il fronça les sourcils, se frotta les yeux, avant de se tourner vers la chose qui l'avait touché. Ça doit être ce vieux chat qui traîne toujours ici... Pensa-t-il en relevant sa tête, bougon.

Mais quelle ne fût pas sa surprise quand il découvrit une chevelure en bataille, un nez pointu et une peau caramel, à la place du supposé chat errant qui venait quémander du lait à Tante Marguerite. Il retint un cri de surprise, avant de reconnaître Camille. Il venait tout juste de se remémorer les événements improbables de la veille.

Il sauta de son lit, ouvrit précipitamment le tiroir de sa commode défoncée, et revêtit les premiers habits qui lui tombaient sous la main. L'ensemble était affreux: short vert kaki à motif palmiers, une chemise à manches courtes rose, et des chaussettes hautes jaunes et mauve que Marguerite lui avait tricoté pour ses quinze ans.

- William ? Murmura une petite voix fluette, encore légèrement cassée.

Le jeune homme se retourna pour faire face à une Camille au visage méconnaissable: son front était rouge et humide à cause de la fièvre, elle avait une toute petite voix, et ses yeux d'habitude si curieux et rebelles semblaient s'être éteints.

- Je peux tout t'expliquer... Commença William, la gorge nouée.

- Je sais... Je me rappelle un peu de ce qui s'est passé... Dit-elle d'une voix pâteuse, les yeux rivés sur ses doigts qui se faisaient et se défaisaient constamment à cause de la nervosité.

William ne savait pas quoi répondre. Il lui demanda simplement si elle avait besoin de quelque chose.

- Je... Je peux aller dans la salle de bain, s'il te plaît ?

- Heu, oui oui, vas-y. Fait juste attention au robinet. Marguerite a inversé les étiquettes rouges et bleues. Donc l'autocollant bleu indique le chaud et inversement.

Camille garda le silence, et sortit précipitamment de la chambre, laissant William seul. Quand il entendit Camille éclater en sanglots, il se dépêcha de la rejoindre, et, ouvrant la porte de la salle de bain, il trouva la jeune femme au-dessus du lavabo, vomissant et pleurant. William laissa ses yeux s'attarder sur le corps de Camille. Mais quelle ne fût pas sa surprise quand il découvrit que celle-ci était recouverte de cicatrices plus ou moins anciennes et de bleus qui refusaient de s'en aller.

Chaque marque avait une signification bien précise, dévoilant secrets après secrets. Et à chaque convulsion, on aurait dit que les bleus et les cicatrices du passé parlaient.

Camille était brisée. Sur sa peau, toutes les horreurs du monde y étaient gravées à jamais. Abîmée par la vie, marquée au fer rouge. Et pourtant, elle n'avait pas perdu la rage de vivre, ni cette lueur rebelle qui brillait dans ses iris sombres. Elle avait de la haine pure qui coulait dans ses veines, et l'âme d'une guerrière.

Quand Camille eût fini de rejeter tout cet alcool qui la pourrissait de l'intérieur, elle se redressa et dévisagea froidement William qui continuait toujours de la dévisager, l'air béa.

- Tu n'aurais pas dû entrer. Souffla Camille avec colère, ses sourcils se fronçant si fort qu'un petit pli se forma entre eux.

Elle frotta ses bras couverts de chair de poule et couverts de marques, et remit son pull de la veille. Elle ouvrit le robinet, et laissa l'eau claire couler jusqu'à ce qu'elle efface toute trace.

William la regarda quitter la pièce sans rien dire. Il n'allait pas lui courir après en lui disant qu'il était terriblement désolé d'avoir violé son intimité. Il n'allait pas non plus lui demander d'où tous ces bleus provenaient, car nous n'étions pas dans ces films stupides et ridicules. Et Will était encore moins un héros. Il n'était pas Roméo ou Cyrano. Juste un adolescent ordinaire au cœur brisé.

Alors il resta planter là quelques minutes, les pieds engourdis à cause du carrelage froid, et repartit dans sa chambre où il pût regarder Camille monter dans sa vieille voiture, enclencher le moteur, et partir sans un regard en arrière, derrière un nuage noir et âcre.

Soleil d'étéWhere stories live. Discover now