15. De gentilles attentions

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Phil ne voulait pas foutre la trouille à "Émilie". Par contre, une piqûre de rappel lui avait semblé salutaire. Sa proie ne doit pas perdre de vue qui il est et ce qu'elle risque. Il estime que la laisser dormir dessus la gardera alerte, combative, plus réceptive ensuite au chaud qu'il soufflera. Il n'envisage pas qu'il y soit allé un peu fort en termes de menace. Elle est assez forte pour encaisser. S'il n'en était pas persuadé, il n'aurait pas jeté son dévolu sur elle.

Il connaît son métier – la petite passion qu'il cultive au sein de sa prison! Les preuves le confirment.

Le soir même de la visite surprise du capitaine, Abelone se rend à son travail au pas de course en regardant mille fois par-dessus son épaule et les regards de ses élèves lui paraissent tout à coup calculateurs, épiant ses gestes au même titre que toutes les âmes qu'elle croise dans les ombres des rues. Tendue comme jamais, elle retrouve l'abri du loft le cœur battant avec l'impression d'avoir échappé au pire. Et elle retourne leurs conversations dans tous les sens jusqu'au matin.

Mais le jour revenu, épuisée d'elle-même, elle envoie ce connard se faire enculer avec du gravier et entame la journée avec un regain d'optimisme. Non, il ne ruinera pas sa vie! Elle ne lui donnera pas cette satisfaction.

Si elle avait su comme le contraire l'eut dégouté! elle se serait peut-être terrée quelques semaines au fond de son lit. Juste pour le principe de lui donner tort.

Elle passe à autre chose. En théorie, c'est l'idée. Sauf que ce trou d'cul s'impose! Par de "gentilles" attentions, des petites "délicatesses", qui manifestent à quel point il pense à elle: une enveloppe de kraft sous sa porte, contenant une copie du dossier de demande d'asile d'"Émilie Brown", pourvue de photos couleurs de sa toute fraîche cicatrice en doublon, de diverses autres sévices, et de son visage ravagé par des semaines à fuir l'oppression de son pays; une poignée de rapports glissée dans sa boîte aux lettres, véritable recueil de témoignages de gens ayant aperçus des jeunes femmes correspondant plus ou moins à sa description dans les camps de réfugiés frontaliers à l'époque où elle devait s'y trouver; l'avis de recherche, collé à la porte de la salle dans laquelle elle donne ses cours du soir, d'un passeur sévissant durant la même période (qui a depuis rejoint les hommes d'Amalrik).

Il fouille, se rapproche de sa véritable identité, et lui fait part de ses avancées. Très prévenant de sa part!

D'autres documents glissés de-ci de-là sur ses trajets lui font davantage plaisir: un rapport d'autopsie dont la stricte photo administrative montre un militaire au large visage belliqueux dérangeant, du nom de Bature – dit Biture –, ex sergent violeur, équarri de son état; la copie d'une circulaire confidentielle du ministre de la Défense, exigeant aux gradés de la base de prendre des mesures contre les viols et exactions commises au cœur de la population, et agrémenté d'un post-it de la main du capitaine elle-même, l'invitant succinctement à détruire le papier une fois qu'elle en aurait pris connaissance.

Abelone sourit en regardant le feuillet enflammé au bout de son bras. Ce tordu n'en a peut-être rien à cirer des abus perpétrés par ses hommes, mais il respecte les ordres. Par ce papier, il lui laisse savoir que le redouté capitaine-commandant Meyer ne laissera plus rien passer.

Si ça, ce n'est pas une nouvelle réjouissante, quelle serait-elle?! Ça mérite bien qu'elle crame la preuve tel que demandé.

Après sept jours de ce rythme, la jeune femme s'étonne à pronostiquer l'endroit où trouver la prochaine communication. Elle porte une attention particulière au courrier du jour, aux papiers qui traînent sur l'aubette du vendeur de journaux, ou aux bulletins scotchés aux distributeurs qu'elle croise sur le chemin quotidien qui emmène les enfants à l'école. Elle ne déniche que les habituels tracts gouvernementaux, et annonces aux airs édentés avec leurs petits bouts de numéro de téléphone déchirés.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now