62. L'éther

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Son livre l'assomme! « Pourquoi est-on comme deux cons, à attendre que Mercier se décide? » questionne Aby en s'étirant sur le fauteuil où elle est avachie. Pas de réponse. Elle tourne l'attention sur le canapé et la silhouette courbée au-dessus du clavier de l'ordinateur portable posé sur la table basse. « Meyer!

— Huh?

— Qu'est-ce qu'on attend pour faire quelque chose?

— Que Mercier se décide. »

Ouais, donc il ne l'a vraiment pas écouté! « J'en ai marre de rester cloîtrée! » proteste-t-elle. Pas de réplique... Mariée depuis vingt-quatre heures, et déjà niée! Elle n'en espérait pas tant! songe-t-elle en retenant le sourire qui trahirait son humeur joueuse.

« T'en a rien à branler: toi, tu sors! récrimine-t-elle en désignant la veste d'uniforme qu'il a posée à côté de lui en revenant de sa visite éclair de la base.

— Seulement sur toi, dit-il d'un air absent, comme une réplique automatique à toute allusion sexuelle.

— Depuis quand tu attends de voir venir?! peste-t-elle encore sans relever.

— Je n'attends pas, j'essaye de mettre la main sur mes ennemis, daigne-t-il expliquer. Un de plus! Gilles est introuvable.

— Depuis quand?! s'alarme la jeune femme en se redressant, toute envie de s'appesantir momentanément disparue.

— J'ai divisé nos forces hier soir, se reproche-t-il. Il s'est volatilisé de son bureau peu après le départ de Mercier de l'Originelle.

— Avant ou après que tu m'aies manipulée pour avoir des témoins à notre nuit de noce?

— Après, répond-il naturellement sans discerner la colère dissimulée dans la question. »

Abelone soupire une énième fois: c'est une cause perdue!

« Je m'ennuie! geint-elle.

— Va dormir, recommande-t-il sans lâcher l'écran des yeux.

— Ou on baise?! hasarde-t-elle. »

Mais il ne l'écoute déjà plus: sourcils sous tension, il griffonne dans un dossier. Elle grogne en se levant: « De toute façon, qu'est-ce que je pourrais bien faire d'autre?!

— Bonne nuit, trésor, souhaite-t-il en conclusion, un bic plutôt qu'une cigarette entre les dents.

— Va te faire, chiure! »

Jouant exagérément la gamine vexée, Aby gravit les marches en faisant le plus de bruit possible. Elle tape des pieds et claque la porte derrière elle sans avoir vu la lueur amusée lavandée qui a fait mine de ne pas suivre son départ.

Les yeux verts grands ouverts regardent le plafond sans le voir.

Figés. Hagards.

Son souffle est court. Il résonne sous son crâne comme la pulsation rapide du sang à ses tympans. Le débardeur de nuit colle à son dos trempé de sueur. Son estomac est si contracté qu'elle en est nauséeuse.

Était-ce un cauchemar? Un bruit? La paranoïa ou une intuition? Abelone ignore ce qui l'a éveillée en sursaut ainsi, tous systèmes d'alarme en panique.

Elle tend précautionneusement le bras. Le lit est froid à son côté. Meyer n'est pas monté. Il avait du travail, se souvient-elle. Des heures ont dû s'écouler depuis. La nuit arrive à son terme, atteste le chant diffus des oiseaux derrière les lames pare-balles des fenêtres. Les turdidés sonnent l'approche des cinq heures.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now