57. Réalité et fantasme de terrain

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Trente-six heures. Meyer la séquestre trente-six heures de plus! Il doit bosser; elle doit se reposer. Elle ne peut quitter le bureau et les pièces attachées – lieu le plus sûr du pays selon lui – tant qu'elle n'aura pas repris du poil de la bête. « Si en quittant la base, je me prends une balle dans la tête, tu dois pouvoir te dépêtrer des assaillants. Présentement, tu ne pourrais même pas t'extirper de la voiture. »

Qu'il puisse évoquer sa mort prochaine et violente sans ciller est hautement perturbant. Pourtant, Abelone l'aurait elle-même évoqué avec hâte, il n'y a pas si longtemps. À quel moment cela n'a-t-il plus été le cas? Est-ce lorsqu'il lui a proposé les couilles de son violeur en plein restaurant? Ou lorsqu'il a retiré son keffieh au marché aux bestiaux, preuve tangible et confirmation qu'elle avait raison de croire en sa parole?

Est-ce réellement important? Non, mais depuis que la docteure est repartie après l'auscultation du matin, elle n'a rien de mieux à faire!

Si elle doit être honnête avec elle-même, elle tente surtout de ne pas se laisser atteindre par les tensions grandissantes. Elles irradient de chaque homme autorisé à accéder au studio de travail (qui sera toujours plus grand que son dernier appart'). Ils vont et viennent avec efficacité, l'expression concentrée et le pas pressé, en faisant parfaitement abstraction de son existence. Non qu'elle aimerait être le sujet de toutes les œillades, mais ça l'interroge sur les ordres qu'ils ont reçu à son propos.

Meyer met les choses en ordre en prévision de sa permission, place ses pions, et organise le départ. Même si ses plus proches équipes savent qu'il ne s'agit que de donner le change, qu'absent de la base il n'en aura pas moins la main haute, ils mettent les bouchées doubles pour se plier à toutes les exigences dans les délais impartis.

« Tu as pris tes médocs'? »

La question accueille Aby à sa sortie de la salle de bain. Elle met quelques secondes à se rendre compte que dans la pièce désertée, il ne peut s'adresser qu'à elle. « Y'a une heure. »

Le commandant pose le dossier qu'il compulsait, se retourne vivement et fonce sur elle à grandes enjambées. Par réflexe de ses nerfs à fleur, elle bondit en arrière et se trouve acculée contre le mur, cœur battant et respiration retenue. Il s'empare sans ménagement de son menton. Mais il se contente de poser le front contre le sien. Le souffle tiède et l'odeur masculine mêlée à celle de tabac se ferment sur ses sens. « Vilaine fille. » murmure-t-il. Elle rougit, emprisonnée par l'acuité de la tanzanite des prunelles. « Prends ton traitement.

— J'ai pris le principal.

— Pas l'anti-douleur. »

Comment peut-il le savoir, bordel? « Je n'ai pas si mal.

— Tu le prends immédiatement ou je te le fais avaler de force. Tu ne vas pas aimer ma technique!

— Qu'est-ce que ça peut te faire?!

— Tu ne quitteras pas ce bureau avec de la fièvre. »

Elle s'empourpre derechef. Il l'a su depuis l'autre côté de la pièce alors qu'elle-même ne s'en est pas rendu compte. C'est elle qui vit dans son corps ou bien?!

« Quelle option? presse-t-il en penchant la tête pour mieux la dévisager sans avoir à lâcher du terrain.

— Je vais le prendre, grogne-t-elle.

— Brave trésor! congratule-t-il en lui tapotant la tête comme d'une chienne obéissante.

— Enfoiré.

— C'est ça, expédie-t-il en s'éloignant. »

Elle traîne des pieds vers les boîtes pharmaceutiques tandis qu'il décroche le combiné fixe. « Nous partons dans vingt minutes, prévient-il avant de raccrocher sans plus de courtoisie. Dès que tu auras cessé de faire la gamine, ajoute-t-il pour elle.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now