49. L'amour est dans le sac

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La tête appuyée au montant de la portière, rencognée dans les pans du veston, Abelone fixe sans voir le paysage terni par la vitre teintée. Mêlée à l'odeur de Phil, celle de tabac la dérange de moins en moins. C'est ce qu'elle ressent jusqu'à ce qu'une bouffée nauséabonde rebondisse sur le pare-brise et lui revienne en pleine face.

Elle tourne un regard meurtrier vers le conducteur. « Tu l'as fait exprès.

— Ouais. »

Elle soupire et reprend sa position, décidée à lui refuser toute conversation. « Tiens-moi éveillé, ordonne-t-il alors.

— Crève! »

La fumée envahit l'habitacle. À l'asphyxier. « Tu me brises les gonades! » s'emporte-t-elle en devant quitter son cocon pour entrouvrir la vitre. Un vent glacé lui hérisse la peau sans sembler capable de repousser l'infection de l'air. « Pourquoi tu ne passes pas à l'e-cigarette comme tout le monde?!

— Je commencerai à sucer ces merdes le jour où il y aura un liquide au goût "Cyprine d'Aby".

— T'es vraiment perché! Surtout si tu crois me faire un compliment.

— Tu rougis donc pour une toute autre raison?

— La honte! Encore un sentiment qui te fait défaut.

— Un défaut qui me fait défaut. Ma vie est fichue! réplique-t-il platement. »

Elle détourne son sourire en secouant la tête de défaitisme pour donner le change. Le silence se réinstalle, tandis que Phil cherche un nouveau point de discorde. Il a l'embarras du choix. « Quelle pierre veux-tu sur ta bague de fiançailles?

— Tes couilles fossilisées! »

Elle agrippe les chauds revers de l'habit pour se blottir dedans, et sa respiration se fige comme tout son corps. Le doigt glacé de l'effroi trace sa colonne. Contre son avant-bras... Un objet malléable pas bien épais. Elle pourrait jurer que ce n'était pas là lorsqu'il lui a prêté sa veste plus tôt dans le patio. Serait-ce...? Un carnet? Elle déglutit la panique qui enserre sa gorge, et lorgne le militaire concentré sur la conduite.

Entre deux points de contrôle, les routes quasi plongées dans le noir l'accaparent. Les rares lampadaires qui défilent, jettent plus d'ombres tranchées que d'éclats dans ses traits indifférents. Il ne quitte les mains du volant que pour retirer la tige qui menace de laisser tomber des cendres sur lui.

Il ne fait pas attention à elle.

Elle pourrait... lui piquer. Pour le mettre où? dans le mouchoir de poche qu'elle porte. À l'arrière de sa culotte? Mais comment quitter l'habitacle sans lui tourner le dos? La robe n'est pas assez vaporeuse et le cahier pas assez souple. Il en verrait forcément la forme.

« Tu as le teint trop pâle pour un rubis. » Aussi intime soit la voix, Aby sursaute comme si elle était prise en flagrant délit du vol prémédité: « Quoi?!

— Trop criard pour toi, poursuit-il son raisonnement. L'émeraude n'a pas l'éclat de tes yeux. Et le saphir n'a pas le même prestige. Un diamant bleu conviendrait.

— Tu cherches juste à m'emmerder, en fait, grince-t-elle en se retournant sur lui.

— Je cherche à amener la discussion que tu refuses.

— Tu n'as aucun argument qui puisse me convaincre de t'épouser, Phil.

— J'en ai des tas que de nombreuses femmes envieraient. Mais tu n'es pas "de nombreuses femmes", prend-il de court sa rebuffade. Tu n'adhères pas pour l'instant, mais si tu t'autorises à écouter, tu trouverais ça parfaitement logique.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now