21. Une ouverture

33 6 1
                                    

Pour la première fois, le capitaine-commandant Meyer apprécie porter ce bracelet. Pour la première fois, il lui est plus utile qu'à sa hiérarchie.

Il n'est pas idiot. Il sait que l'outil permet à ses supérieurs de le monitorer et le pister. Tel est le prix de ses libertés. Mais pour l'heure, il lui a permis d'envoyer un message (non sans mal: le clavier est rudimentaire) à l'aspirant Calvas qui l'assiste brillamment depuis son recrutement. Il a craint que les braqueurs emportent les téléphones hors de portée ou atténuent leurs signaux par une cage de Faraday. Il n'en est rien. Ces hommes ont une bonne cohésion, mais ne sont pas rompus à l'exercice qu'ils mènent.

Sava attend son signal, tel que l'informe la réponse sur l'écran incrusté. Émilie occupe l'attention des assaillants de son caractère bien trempé, et sort de son champ de vision. C'est le bon moment pour Phil d'envoyer l'appel à l'aspirant. Son homme décroche, lui apprend le bracelet connecté. S'il suit les instructions, il lance l'enregistrement qui captera les conversations tenues autour de son smartphone.

Il n'a plus qu'à rester recroquevillé en se tenant la tête jusqu'à ce qu'une occasion se présente. Il émet de pathétiques bruits de larmoiement sans qu'une seule larme ne mouille ses joues. Fût-il, à l'époque, aidé par des acteurs chevronnés, il n'a jamais pu en invoquer sans un produit lacrymogène.

Sous sa paume, son pariétal pulse douloureusement sans comédie! Moins que s'il n'avait pu éviter le heurt de la crosse au temporal visé, ou s'il n'avait eu la capuche rabattue sur le crâne pour l'amortir. Pas de saignement. Mais un incontestable étourdissement. Ce connard n'y a pas été de main morte. À croire qu'il s'agissait d'un compte personnel à régler.

Les kidnappeurs s'interpellent à travers salle. Ils s'éloignent les uns des autres. Les otages en profitent pour parler à voix feutrées, se rassurer de leur piaillements comme une portée de cochons d'inde.

Les minutes s'écoulent. Les vigilances se relâchent.

Phil attend. Que quelque chose s'affranchisse. Un changement. Une ouverture. Elle va forcément se produire. Ils se reposent trop sur la collaboration de la police. Ils sont trop détendus. Ils vont foirer. Et il sera prêt à s'engouffrer dans la brèche.

En réalité, les forcenés foirent déjà. Ils se sont séparés en trois groupes pour ne laisser que deux hommes à la surveillance des captifs. C'est vrai: des flics véreux, des petits vieux, et de pauvres femmes. Que pourrait-il mal tourner?! Ça amuse Phil. Être relégué aux impotents à quelque chose de piquant!

« Ils en ont pour combien de temps, tu crois? demande le gars qui passe et repasse avec impatience, sa lourde Galil entre les mains.

— J'en sais rien! répond l'autre d'un soupir excédé, dont la Vektor CR-21 aurait déjà paru d'un design futuriste puéril à la fin du siècle dernier.

— On se fait chier! »

Vektor souffle encore et fait un rapide tour d'horizon de la populace ratatinée. « J'vais pisser, décide-t-il en se redressant d'un coup de rein. Essaye de ne pas faire de connerie en attendant. »

Phil compte tellement sur le contraire!

Il a beau avoir l'empathie d'un marteau piqueur, il perçoit le besoin d'allant de Galil comme des vagues qui s'écrasent sur lui. Il rabat un peu plus sa capuche et observe le type. Il attend son moment. Mais c'est lui qui prend les devants: il grogne de frustration et s'exclame d'un « Bon! Qui s'emmerde autant que moi?! ». Il examine les petits groupes qui se pelotonnent sous son inspection. Jusqu'à lui!

Phil lui rend un bref regard. Comme un élève croise le regard du professeur et le détourne aussitôt de peur d'être interrogé – et est plus sûrement questionné que s'il avait gardé son attention sur son cahier, telle est la loi de Murphy.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now