9. Cheyenne

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Quand on s'appelle Cheyenne et que la vie bouscule vers les métiers au service des hommes, on n'a pas besoin de se trouver de "nom de scène". On préfère néanmoins les clients qui questionnent sur un soi-disant prénom caché, plutôt que ceux offrant élégamment le diminutif de Chienne.

C'est ce que Cheyenne pensait avant de ne plus pouvoir faire la fine bouche devant celle affamée de son fils. Depuis, elle a appris que la Dignité a un prix. Elle peut même être tarifée à l'heure!

Elle a remonté la pente, bien sûr. Elle s'est constituée une petite base solide de clients qui ne s'élargit que par recommandation. Mais elle ne veut pas se promettre de ne plus jamais tomber dans le cercle des bordels miteux. Elle a trop peur de devoir se parjurer. C'est un risque qui pend au nez. Parce qu'une mère doit toujours réfléchir deux fois: une fois pour son enfant et une fois pour elle-même.

Elle aimerait se disculper en utilisant cet argument. En vérité, elle n'a juste pas réfléchi en ramassant cette foutue carte de crédit. Et elle s'en mord figurativement les doigts en se composant une expression réjouie face à la seconde série de vigiles armés qui se tient devant elle.

Elle est anxieuse. La sueur lui coule dans le dos. Elle reste le plus loin possible sans devoir arracher son bras à l'étreinte de son "cavalier". Elle pressent qu'un très mauvais coup se prépare. En même temps, que faut-il espérer d'autre de ces fous d'heljaïstes?

Elle ne pense pas en connaissance de cause. Elle ne connaît de l'Héljaïsme que les reportages des chaînes subventionnées par l'État et les témoignages des rescapés des émeutes de 22. Comme tout le monde, non? Non?!

Ses yeux dérivent d'un homme à l'autre. Jusqu'à revenir sur celui qui l'accompagne. Putain! même légèrement avachi, il fait près d'une tête de plus que les types en gilet pare-balles. Entre ses traits ciselés et ses belles lèvres étirées avec complaisance, ce trop bon menteur paraît à la fois guindé et inoffensif. Mais elle, qui a vu la froideur de son regard et sent les courbures énergiques du bras sous ses doigts, elle n'est pas prête à parier sur les gars armés jusqu'aux dents.

« Nous arrivons trop tard pour voir l'entrée des fiancés. » regrette-t-il après un rapide coup d'œil par-dessus l'épaule des gardes. Le maître d'hôtel est en train de vérifier que son nom figure sur la liste d'invités.

Incapable de rester en place, tremblante sous la menace des mitrailleuses braquées à leurs pieds, elle se tourne vers le capitaine. Elle fait mine de réajuster tendrement sa cravate. « La faute à tes boutons de manchettes introuvables! » commente-t-elle.

Tout sourire blanc épanoui, il lui prend la main pour la conserver contre son pectoral. Elle perçoit la chaleur de son corps et la dureté de sa musculature. Leur regard s'accroche. Si elle était aussi conne qu'elle parait, elle pourrait croire à l'amour dont irradie la pâleur bleue homogène des prunelles expressives. Du coup, son corps doit vraiment être le dernier des débiles, parce qu'il s'électrise de plaisir! À lui faire monter le sang aux joues.

Ce mec est trop dangereux pour se promener impunément, songe-t-elle judicieusement.

« Ah! fait enfin le gars en livrée du même soulagement qui la parcourt. Vous voilà, monsieur Ludvic! N'ayez crainte, vous arrivez avant l'échange des vœux, conclut-il en levant les yeux de son livret.

— Louée soit la Déesse! soupire avec emphase le soi-disant Philippe. »

Il ramène la main aux ongles vernis sous son bras et suit docilement le maître d'hôtel qui les cornaque vers des places vacantes.

On les dirige vers la dernière rangée de chaises divisées par une allée centrale, faisant face à un cercle de branches et de fleurs où se tiennent les futurs époux devant une maîtresse de cérémonie en toge décorée de lierre. Ainsi vêtue, la femme qui officie ressemble à une enchanteresse de conte.

Black Bag [Terminé]Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ