19. Le loup blanc incognito! Pouah!

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Abelone est rencognée contre la portière avec un petit goût fielleux cuivré de déjà-vu sur la langue. Le goût de la rancœur sur son lit de peur.

Elle a passé une très mauvaise nuit dans le fauteuil. Rien à voir avec un quelconque inconfort: il est plus douillet que les matelas qu'elle connaît. Le sommeil ne s'est simplement pas offert avant des heures à assourdir ses pleurs. L'inévitable prix du deuil.

Quant à Meyer, il s'est présenté au matin, frais et dispos, les cheveux humides ébouriffés par sa douche, sourire et clope éteinte au bec. Un parfait connard! Mais qui prépare un putain de bon café. Il suffit qu'elle se souvienne qu'elle le hait pour qu'un truc adoucisse son humeur, et ça commence à lui taper sur le système. Il joue avec ses nerfs comme personne.

Elle lui jette un œil de biais. Depuis qu'ils sont partis à 6h30 tapante (sous la menace de la laisser là en motivation à s'activer), il ne cesse de répondre par courtes phrases ou onomatopées à l'oreillette tranchant son beau profil de psychopathe. Elle a cessé d'écouter lorsqu'elle a saisi qu'il ne laisserait filtrer aucune information.

Quand il raccroche enfin, ce n'est que pour réappuyer sur son bracelet connecté en réponse d'un nouvel appel.

Un bracelet auquel elle n'avait pas fait attention jusque-là. Dans les ténèbres de l'habitacle fluctuant sous l'éclairage public défilant, si elle n'avait pas capté la lueur verte qu'il émet à rythme régulier contre la peau de son poignet, ou les numéros s'afficher sur l'écran tactile à l'avant, elle n'aurait pas envisagé qu'il soit davantage qu'une bande lisse de plastique noir. Les heljaïstes sont réputés plus technophobes que technophiles.

« Les colliers pour chien étaient plus esthétiques dans mon souvenir. » marmonne-t-elle en s'en retournant vers la vitre. Elle sent un œil bleu peser sur elle avant qu'un nuage pestilentiel n'envahisse sa vision et obstrue ses sens. Sale con!

Ils passent un nouveau barrage routier sans même avoir à ralentir. Sa plaque d'immatriculation est un passe-partout. Les gardes osent à peine tenter de distinguer le conducteur lorsque le véhicule passe à leur hauteur. Les vitres teintées les en empêchent, mais ils essayent quand même!

« Tout le monde veut rencontrer le loup blanc, persifle-t-elle en se tassant néanmoins de crainte d'être vue.

— Ils veulent se vanter de savoir à quoi je ressemble. »

Abelone met quelques secondes à comprendre qu'il lui répond plutôt qu'à son téléphone. « Ils l'ignorent?!

— Hors de la O.R.D.E., mon anonymat est utile, voire essentiel à certaines missions. Et même parmi mes escouades, certains seraient incapables de m'identifier.

— Tu ne fais même pas confiance à tes hommes.

— Non, confirme-t-il platement. Après avoir assisté à la fin de mon second, peux-tu me donner tort... Émilie? »

Elle grimace au souvenir de la cervelle éparpillée sur sa porte, et il pose l'index sur le bracelet dans un « Oui, aspirant? » qui clot le sujet.

Même entre ses coups de fil, il ne lui adresse plus la parole jusqu'à ce qu'il se soit garé en contresens de la marche. « Descends et attends-moi là. » ordonne-t-il en déclipsant son holster de ceinture. Elle espère se fondre dans la portière quand il se penche vers elle. Il se contente de ranger l'arme dans le vide-poche verrouillé d'un code à six chiffres. Mais quand il s'incline davantage sur elle, approchant dangereusement le visage du sien, elle trouve la poignée et bondit hors du véhicule. Il rit sourdement et récupère tranquillement le pull qu'il cherchait sur le siège arrière.

« T'es insupportable! » grogne-t-elle avant de claquer violemment la portière. Elle gagne le trottoir verglacé en se fustigeant de sa sottise proche de la naïveté.

Black Bag [Terminé]Where stories live. Discover now