Chapitre 39

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— Vous avez vraiment laissé quatre-vingt mille balles à des trafiquants ! s'énerve Jennifer.

— C'est insensé, surenchérit Benjamin.

Tout le monde approuve.

— Nous avons besoin de ces armes, nous défend Laurent.

— Et pourquoi ? Vous comptez nous faire attaquer le Centre après le mal qu'on s'est donnés pour se barrer ? fait remarquer Martin.

— Ils vont venir après nous. Et tous nos amis sont encore là-bas, fis-je.

— Raison de plus pour se cacher et faire profil bas.

Tout le monde acquiesce à l'intervention de la grande Lily

— Nous n'aurons jamais de vie normale tant qu'on n'aura pas mis fin à cette menace. Pour le moment on a la paix, car ils n'ont pas encore d'unités prêtes à nous traquer avec le matériel nécessaire. Ni des gens comme nous assez entraînés, mais ça va venir.

— C'est de la folie ! éclate Benoit.

La discussion s'anime en tout sens. J'arrête d'intervenir, les esprits sont trop échauffés. Moi la première, je les comprends, notre vie est paisible ici. Nous vivons à notre rythme, en nous préparant à nous défendre au cas où. Mais les armes rendent tout plus concret et plus tangible la fin de cette parenthèse.

J'ai le cerveau en fusion après autant d'éclat et de disputes et vais m'isoler dans la buanderie au sous-sol.

L'air moite et l'odeur de moisi ont un côté réconfortant. C'est étrange, moi qui n'en pouvais plus d'être enfermé dans ce maudit sous-sol, je suis presque bien ici. En paix.

— Tu es la plus sereine de nous tous, déclare Laurent en arrivant

— Parce que j'ai eu le trouillomètre au taquet chez les trafiquants, m'amusé-je.

— Tu es exceptionnelle.

Laurent m'enlace et m'embrasse.

— Ou alors j'ai fini par complètement disjoncter avec tout ce qu'on traverse. Qui sait...

— Moi je sais, tu oublies que j'ai un accès privilégié à qui tu es.

— Arrête ton charme, dis-je en me dégageant, tout en gardant le sourire.

— De toute façon, même si physiquement on était prêts, il y a un problème qu'on n'a pas abordé.

— Normal, on est loin du moment fatidique. C'est récent qu'on doit voir un peu plus loin que l'heure qui suit.

— Personne ne sait retourner au Centre. Donc peu importe les plans sur la comète que l'on tire. Je crois qu'on doit un peu plus parler de cette éventualité.

Je soupire et m'appuie sur l'un des sèche-linges.

— C'est pas avec moi que tu dois en discuter. Peut-être que certains sauraient y retourner.

— Cyril m'a dit que non. Je suis le seul à avoir eu le temps de regarder un peu la carte du GPS quand nous avons volé le camion, mais je n'ai pas franchement eu le l'occasion de tout mémoriser. Pareil pour Cyril, il cherchait une façon de nous éloigner de là-bas. On a une zone, mais y aller autant à tâtons, c'est signer notre arrêt de mort. Peut-être qu'il nous faut renoncer aux autres. Beaucoup ici ne nous suivront pas, nous n'allons pas y aller à trois !

— Tu as vécu dans cet enfer plus longtemps que moi, comment tu peux condamner les autres. Imagine ceux qui vont finir dans la même pièce que celle où je t'ai trouvé !

— Justement ! On a réussi à se barrer, il faut qu'ils y parviennent aussi.

Je tape rageusement sur la machine et m'approche de Laurent. Vicieusement, il essaie de me faire redescendre la pression, mais je lutte. Et même si cette confrontation me donne mal à la tête, je réussis à rester furieuse.

— Putain, t'arrives à me contrer ! s'extasie-t-il.

— Bordel ! C'est pas le sujet !

Laurent semble aux anges. Et je suis larguée, sensation dont je me serais passée...

— Dana ! Même Cyril n'y arrive pas. Du moins pas à ce point !

— Je suis très énervée ! insisté-je. Sans ton don, peut-être que je t'aurais frappé et j'en ai toujours furieusement envie. Tu veux qu'on abandonne nos amis !

— Dana. Qu'on soit clair. Où que tu ailles, je te suivrai. Même si mes fameux « amis » ont laissé les gardes me traîner dans une foutue cellule. Tu es la seule à avoir tout risqué pour moi. Comprends mon point de vue, mais sois assurée que si tu retournes là-bas. Je serai-là.

Je ne peux qu'être attendrie par une telle déclaration et ma colère retombe comme un soufflet.

Après un baiser sur le crâne, il me quitte, mais la tranquillité ne dure pas. Cyril débarque dans mon antre.

— Tu arrives sans t'annoncer dans ma tête. On progresse sur le respect de mon intimité, dis-je.

J'ai droit au sourire tordu que j'affectionne et je sais que malgré mon air ronchon, il n'est pas dupe.

— Je veux que tu essaies de m'empêcher de lire dans tes pensées.

— Hein ?! Qu'est-ce qui a cramé dans ton citron pour débarquer et me dire ça ?

— Je sais ce qui s'est passé avec Laurent. Tu es la première à parvenir à contrer un don. Avec ton chaud et ton froid, c'est déjà comme si tu en avais éveillé deux. C'est toi la plus douée de nous tous. Il faut que je comprenne comment tu me contres pour qu'on l'enseigne aux autres et avoir un avantage que les militaires n'auront jamais. Du moins pas avant un long moment.

— Tu n'en sais rien.

— Si. Essaie au moins.

Et nous pratiquons, parce que j'ai capitulé sans même essayer de le dissuader, alors qu'il est plus que l'heure d'aller dormir.

Échec après échec, je tente de dissimuler mes pensées à Cyril. Avec Laurent, s'était facile, car je sentais qu'il modifiait mes émotions. Je ne suis pas capable de sentir la présence de Cyril dans ma tête et je ne sais pas comment lutter. Tout à l'heure je me suis accrochée à ma colère, mais là...

— Je vais pas répéter un mot en boucle indéfiniment.

— En plus, même comme ça, j'arrive à percevoir des bribes, donc ouais, ça sert à rien.

— On réessaiera demain, je suis nase.

Alors que nous remontons au rez-de-chaussée, je me sens de plus en plus à l'étroit dans mon corps, dans cette vie, dans cette maison, avec toutes ces responsabilités. Cyril attend trop de moi. Dire que j'étais sereine un peu plus tôt, qui aurait cru que devenir meilleure allait empirer mon état. Surtout que je n'étais pas celle avec qui Cyril aurait dû se rendre dans des lieux si dangereux, je n'ai servi à rien. Et je suis incapable de lui fournir une quelconque aide pour apprendre à contrer ses intrusions. Pourtant, j'ai conscience que la clef de notre survie passe par-là. Si je n'y arrive jamais, je nous condamne tous...

J'ai le souffle court alors que je m'engage pour traverser la maison et prendre le chemin des étages.

— Dana. Calme-toi, me rattrape Cyril.

Au même moment, le pas rapide de Laurent le mène à débouler du dernier pour me serrer dans ses bras. Il m'envoie une vague de réconfort, mais je le repousse avant qu'elle n'agisse.

Je suffoque.

Je suis en train de mourir. J'ai chaud. J'ai la nausée. Et l'air que j'inspire semble refuser d'oxygéner mes muscles.

Je m'écroule. Je tremble.

Et je perds la maîtrise de mon don.

Une fournaise incroyable m'échappe.

Cyril et Laurent recule rapidement. Ils hurlent. Les autres rappliquent.

La situation est hors de contrôle.

Puis vient le trou noir.

Au pied du murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant