Chapitre 9

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L'inconnu me libère.

J'ai le sentiment d'avoir un peu baver sur sa main, je me sens honteuse, même si je ne l'aperçois pas en train de l'essuyer sur son pantalon. Il est torse-nu et ça ne me frappe que maintenant. Quel torse pourtant ! C'est le plus viril que j'ai pu voir depuis que je suis ici. Il faut dire que peu de mecs sont plus vieux que moi et c'est à peine si certains commencent à développer un physique plus mature. Ils ont des poils, mais ça ne donne pas le même résultat que celui que j'ai sous les yeux. Si je n'avais pas bavé tout à l'heure, je crois que je le fais maintenant.

— Tu es une vraie girouette, s'amuse-t-il.

— Hein ?

Il sourit, je m'empourpre devant ma bêtise, je ne veux pas savoir pour quoi je passe.

— Je suis empathe, c'est ça le cadeau que la fièvre m'a fait, c'est ton énorme stress qui m'a réveillé, sauf que là tu sembles plus... plus détendue, finit-il par dire.

Je ne suis pas dupe, il a dû sentir mon attrait. Pour quel genre de quiche je passe ?! Sauf que ce n'est pas le sujet, je le remercie et toutes les questions qui m'avaient fui durant mon cache-cache improvisé reviennent à la charge. Et je finis par risquer à demander :

— Si je me fais gauler, qu'est-ce que je risque ?

— L'isolement, mais tu viens d'arriver, ils t'auraient simplement rappelé à l'ordre.

— Même si je m'étais déjà faite attraper ce soir ?

— Ah, non pas là, tu y aurais eu droit. Ce n'est pas raisonnable, chuchote-t-il encore plus bas. Il ne va pas tarder à repasser, je ressens ses émotions.

J'acquiesce et me tais en réponse au geste qui m'intime le silence, l'idée de me retrouver à nouveau coupé de tout me terrifie. Je le fixe essayant de déchiffrer ses émotions, même si c'est son domaine, apparemment.

Je n'arrive toujours pas à réaliser qu'on ait reçu des dons, j'ai parfois l'impression d'avoir atterri dans une autre dimension. J'étais encore tout fraîchement adolescente avant tout ça, je sortais de l'enfance et de l'espoir fou que Peter Pan viendrait me chercher une nuit pour une folle aventure. Je croyais encore un peu à la magie et aux évènements inexplicables, mais c'est surtout parce que j'étais très naïve et que ma mère fréquentait des gens, qui avec le recul, me paraissent plutôt louches. L'un d'eux se prétendait guérisseur et avait affranchi ma mère de son traitement contre la dépression, je n'étais pas assez ouverte aux autres pour comprendre à ce moment-là si ça l'avait rendu plus ou moins heureuse, mais désormais je me dis qu'elle a peut-être fini par rejoindre une secte et que ce type était un gourou. Du moins, certains propos de ma mère me relatant le pouvoir de l'esprit sur le corps m'ont bercé longtemps et m'ont fait espérer un jour de pouvoir m'envoler par la fenêtre de ma chambre sans l'aide de poussière de fée. Et voilà aujourd'hui que peut-être dans le complexe quelqu'un est peut-être affublé de cette caractéristique, pendant que je me tiens devant un empathe, que ma meilleure amie peut générer de l'électricité et que moi j'ai la capacité de geler l'eau. Le monde est fou ou c'est moi qui le suis, j'oscille toujours entre croire à cette réalité ou au contraire finir par abdiquer et accepter que je suis peut-être en plein délire. Heureusement, le jeune homme — car pour moi c'est ce qu'il est — finit par interrompre les turpitudes de mon esprit :

— Tu es la nouvelle de la cinquante-six ?

— Oui, Dana. Merci pour ton aide.

— Laurent. Il n'y a pas de quoi, mais évite les sorties nocturnes, même celles pour une envie pressante, certains font plus de zèle que d'autres.

— Je vois.

Son aveu ravive mes angoisses et ma claustrophobie. Ce n'est pas bien différent du camp, sauf que le fait de ne pas avoir accès au ciel rend ma captivité plus tangible. J'ai l'impression que toutes les illusions que j'avais entretenues pour me rassurer se brisent pour me montrer la réalité crue ! Et elle prend forme par du béton gris, brut à perte de vue.

Au pied du murWhere stories live. Discover now