Chapitre 1

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La voix dans le haut-parleur hurle ses ordres habituels, je n'écoute même plus. Au fil des années on s'accoutume. Je me dépêche de traverser l'esplanade bordée de fleurs en tout genre. Mon banc préféré est entouré de dahlias violets et de rosiers blanc. Beaucoup moins glauque que tous les chrysanthèmes plus loin. Ces derniers me rappellent notre état de mortalité et je les hais pour cette vérité qu'ils nous renvoient de par leur présence.

Je rejoins enfin le bâtiment des soins psychomoteurs, non sans jeter un œil mauvais au nouveau chantier de renforcement du périmètre de sécurité. Au fil du temps, notre centre de rééducation devient une prison. Le changement a commencé insidieusement par l'installation du barbelé au-dessus du grillage de départ, mais, aujourd'hui, quand je vois les clôtures électriques et les autres barbelés, voire même le fossé large d'au moins six mètres et profond de tout autant, j'ai le sentiment qu'on se retrouve dans un camp de détention.

— Tu as tardé, me souffle Vince quand je parviens dans le hall.

Je hausse les épaules. Les punitions sont risibles. En quoi faire plus de ménage dissuaderait un adolescent déterminé à prendre la tangente ?

Vince m'offre un sourire amical qui illumine le bleu de ses yeux. Je suis contente d'être à nouveau en classe avec lui. Avec toutes les modifications que subissent les groupes au fil du temps, il y a des périodes où j'ai plus de chance que d'autres.

Lena, le médecin kinésithérapeute, ou je ne sais pas trop quel est son statut, commence à assigner des tâches. À notre arrivée dans le camp, nous étions tous mâchés après les mois de coma, même marcher était un exploit. Aujourd'hui, toutes ces séances se rapprochent de l'entraînement sportif de haut niveau, mais bon, il faut bien qu'ils nous occupent. Notre séjour ici dure depuis trois ans maintenant. Toujours sans cure et toujours porteur du virus.

Sur près d'un million et demi à l'avoir contracté, nous ne sommes même pas trois mille survivants... Puis, la cerise sur le gâteau, de temps en temps, certains rechutent complètement. Leur température corporelle grimpe à nouveau en flèche, ils sont amenés au pôle médical, mais nous n'en avons jamais revu un seul. Et quelque temps après leur disparition, des gens viennent vider leurs armoires avec des mines contrites.

Les capteurs thermiques au point stratégique de la base permettent, normalement, de prendre le plus précocement possible en charge ceux qui rechutent de ce qu'ils nous ont expliqué. Mais, même avec ces dispositifs personne n'est revenu, à croire qu'on n'est pas supposés survivre à la seconde poussée de fièvre de la maladie. Au début, je vivais dans l'angoisse permanente de mourir. Maintenant, j'ai accepté la fatalité de la situation. Si la rechute doit arriver, elle arrivera et je ne peux rien y faire.

Je me mets à courir sur le tapis de course, comme demandé par Lena. Dans ma vie d'avant, celle où je vivais sans attirer l'attention, en étant sage avec un parcours scolaire moyen, j'avais une sainte horreur du sport. Dans ce lieu, c'est devenu l'une de nos seules échappatoires, puisque nous n'avons ni alcool ni drogues. Il y a, tout de même, tous les premiers jeudis du mois, la fête mensuelle des anniversaires des personnes nées dans le mois précédents. Et il y a toujours Noël, le jour de l'an et c'est tout. La Saint Valentin nous est refusée, on n'est pas supposé fricoter les uns avec les autres. Mais il faut être incroyablement naïf pour imaginer que trois mille adolescents vivants coupés de tout vont attendre patiemment pour expérimenter la vie.

Mon esprit divague toujours durant ces moments monotones. Je suis face à une vitre qui me renvoie mon reflet transpirant et celui de mes camarades près de moi. Des mèches châtaines se sont échappées de ma queue de cheval et se baladent devant le marron sombre de mon regard déterminé. Les contours de mon visage sont flous à cause de ma pâleur, malgré les heures passées au soleil dans la cour. Le gris de nos vêtements de sport n'arrange rien. J'ai sale mine, même avec le rouge aux joues due à l'effort.

Au pied du murTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang